mercredi, août 22, 2007

 

La lettre de Jack Layton à l'intention de Stephen Harper sur la souveraineté dans l'Arctique

Le lundi 6 août 2007
Le très honorable Stephen Harper, C.P., député
Premier Ministre du Canada
80, rue Wellington
Ottawa (Ontario)
K1A 0A2
Monsieur le Premier Ministre,

La mission russe visant à planter leur drapeau sur le plancher océanique au pôle Nord met en évidence une réalité troublante pour les communautés du Nord et tous les Canadiens en ce qui concerne notre souveraineté dans l’Arctique. Cela souligne jusqu'à quel point le Canada est à la traîne lorsqu’il s’agit d’exercer nos droits légitimes dans l’Arctique.

Afin de protéger notre souveraineté, il faut que le Canada passe à l’action immédiatement en faisant des investissements stratégiques dans l’Arctique et en reconnaissant que les plus grands défis du Nord sont de nature sociale, économique et environnementale.

La décision d’acheter jusqu’à huit patrouillers militaires renforcés pour la navigation dans les glaces est malavisée, puisqu’il y a des priorités dont l’urgence dépasse largement la préparation d’une guerre éventuelle avec les Russes ou les Américains quant à l’Arctique.

Les patrouillers promis, conçus pour subir un maximum d’un mètre de glace de première année relativement molle, sont insuffisants pour servir de brise-glaces dans l’Extrême-Arctique. Afin d’exercer notre souveraineté, le Canada devrait se doter de navires qui peuvent aller n’importe où, n’importe quand, dans les endroits que nous revendiquons. Plutôt que d’acheter des « brise-bouillie-de-glace », nous devrions bâtir de nouveaux brise-glaces polaires pour la Garde côtière canadienne. Ceux-ci serviraient à briser la glace pour les navires commerciaux, à transporter des provisions aux communautés nordiques, à maintenir des appareils de navigation, à s’acquitter d’activités de recherche et de sauvetage et à appuyer les recherchistes. Lorsque cela est nécessaire, les brise-glaces pourraient transporter des agents de la GRC, des agents de protection des pêches ou des effectifs militaires.

Au fur et à mesure que les glaces de mer disparaissent, la navigation dans l’Arctique canadienne devient de plus en plus fréquente. Par conséquent, il faut considérer deux installations de quais en eau profonde dans le Nord. L’une d’entre elles devrait se trouver à Iqaluit, comme le gouvernement du Nunavut l’a demandé. Son rôle principal serait de faciliter le déchargement des provisions pour les résidents et les entreprises du Nord. Des paquebots de croisière seraient attirés par un quai en eau profonde, ce qui favoriserait la mise en valeur des industries touristiques et artisanales du Nunavut. La deuxième installation de quais en eau profonde devrait se trouver à Nanisivik, puisqu’il s’y trouve déjà un vieux quai qui pourrait être réaménagé. Son rôle principal serait de maintenir et de fournir des provisions aux brise-glaces de la Garde côtière canadienne qui opèrent dans le passage du Nord-Ouest.
Plus de 100 000 personnes traversent l’Arctique canadienne dans des avions commerciaux intercontinentaux tous les jours. Or, il y a très peu d’aéroports nordiques capables d’accueillir un atterrissage d’urgence d’un grand aéronef. Le gouvernement fédéral devrait verser des fonds aux trois gouvernements territoriaux immédiatement pour mettre à neuf et rallonger les pistes d’atterrissage, améliorer les services de déneigement, installer ou réaménager les installations d’atterrissage aux instruments et permettre aux aéroports de se doter de personnel 24 heures sur 24.

Il faudrait améliorer considérablement les services de recherche et de sauvetage dans le Nord, grâce au déploiement d’au moins un hélicoptère Cormorant des Forces canadiennes dans l’Arctique pendant les saisons de navigation estivale et automnale. Il nous faudrait également de nouveaux aéronefs à voilure fixe pour la recherche et le sauvetage (dotés de techniciens de recherche et de sauvetage bien équipés et formés en parachutage) basés à Whitehorse, Yellowknife et Iqaluit.

Le Canada est un pays vaste et souvent très froid, dont 40 % de la superficie se trouve dans l’Arctique. Afin d’affiner le rôle des Forces canadiennes dans la recherche et le sauvetage au cas où il y aurait une catastrophe intérieure, plus de soldats devraient avoir un entraînement par temps froid.
Étant donné que le Canada a ratifié la Convention de l’ONU sur le droit de la mer en 2003, nous avons jusqu’en 2013 pour présenter une revendication fondée en droit sur une plate-forme continentale qui s’étend beaucoup plus loin que la zone économique exclusive de 200 milles dans l’océan Arctique. Il faudrait que cette revendication soit appuyée par des preuves scientifiques concernant la forme et les sédiments du plancher océanique. Une zone de plancher océanique de la taille de l’Alberta serait en jeu, dans laquelle se trouveraient du pétrole, du gaz et divers minéraux. Cependant, faute d’équipement et de fonds suffisants, les scientifiques canadiens ne seront peut-être pas en mesure de dresser la carte séismique à temps. Voilà pourquoi il faut leur allouer plus de fonds dès maintenant.

Le Canada se trouve mêlé à un conflit de longue date avec les États-Unis quant au statut du passage du Nord-Ouest. Pendant des décennies, une glace épaisse accumulée pendant plusieurs années y a protégé les intérêts canadiens. Maintenant que la glace fond, la navigation devient plus simple. L’année passée, neuf navires, dont quatre paquebots de croisière, ont traversé le passage. Pour de tels cas, le Canada doit se doter de nouveaux brise-glaces capables d’accéder au passage du Nord-Ouest en tout temps. Simultanément, nous devons user de diplomatie avec les États-Unis et d’autres pays en vue d’établir une approche négociée et coopérative face à la fonte des glaces dans le passage.

Le programme de Rangers canadiens constitue un mécanisme important pour faire respecter notre souveraineté, fournir des services de recherche et de sauvetage près des communautés arctiques et créer des occasions d’emploi pour les gens du Nord, notamment les jeunes hommes. Il faudrait étoffer le programme de Rangers canadiens en recrutant à peu près 1000 membres additionnels, avec un financement accru destiné au transport, aux communications et aux matériaux divers.

Le Nord canadien renferme des ressources naturelles inestimables, dont le pétrole, le gaz, l’uranium, les diamants et l’or. Pourtant, deux des territoires (le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest) ne peuvent toucher aucune redevance sur ces ressources : toutes les redevances sont versées directement au gouvernement fédéral. Il en va de même pour les frais exigés pour les centaines d’avions internationaux qui survolent le Nord tous les jours. Or, le gouvernement fédéral prétend qu’il y a un transfert net de finances d’Ottawa vers le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest. Il est temps d’avouer que cette prétention est fausse. Il est temps de régler le véritable déséquilibre fiscal. Les ressources naturelles du Nord appartiennent, d’abord et avant tout, aux gens qui y habitent.

Les changements climatiques détruisent le Nord canadien tel que nous le connaissons. Le pergélisol fond, détruisant des édifices, des routes et des pipelines. Les glaces de mer disparaissent, mettant les chasseurs inuits en danger et interrompant leur mode de vie traditionnel. Les populations d’animaux et de poissons indigènes subissent une grande pression, tandis que de nouvelles espèces potentiellement destructrices s’installent dans l’Arctique. La navigation marine est plus fréquente, augmentant ainsi le risque de marées noires. Il est absolument essentiel que le gouvernement canadien mette un frein aux changements climatiques dès que possible. Une politique en matière de changements climatiques est une politique pour le Nord, et le temps presse.
De plus, il est primordial que le gouvernement canadien augmente les terres et les eaux protégées de la dégradation environnementale en leur attribuant le statut de parcs nationaux. Comme première étape, nous recommandons que vous preniez des mesures immédiates pour élargir le parc national Nahanni et pour créer une nouvelle réserve d’aire marine nationale de conservation à Lancaster Sound (tout en essayant de la faire désigner site du patrimoine mondiale).

Afin de protéger notre souveraineté, nous devons nous assurer que les gens du Nord canadien bénéficient de sécurité économique. Nous vous demandons de prendre le temps d’examiner les conséquences de vos compressions dans les programmes d’alphabétisation des adultes dans le Nord. Nous vous demandons de prendre le temps de visiter la région et de voir les épidémies de diabète et de tuberculose qui y sévissent, ainsi que la grave pénurie de logement suffisant et abordable. Nous vous demandons d’examiner le taux de suicide, qui est exceptionnellement élevé dans ces régions.

Depuis trop longtemps, les politiques concernant le Nord sont élaborées à la hâte. Elles sont plus axées sur le positionnement partisan dans le Sud que sur le développement véritable du pays. Il est temps que le Parlement s’engage à élaborer un programme détaillé pour le Nord, en vertu duquel le Canada défendrait activement notre souveraineté. Il ne nous faut pas un programme axé exclusivement sur le militaire, comme votre gouvernement l’a fait jusqu’à présent, mais plutôt un programme qui se penche également sur les défis sociaux, économiques et environnementaux avec lesquels le Nord canadien est aux prises.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma très haute considération.

L’honorable Jack Layton, C.P.
Député, Toronto Danforth
Chef du Nouveau Parti démocratique
643C, édifice du Centre
Chambre des communes
Ottawa (Ontario)
K1A 0A6


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