mardi, juin 17, 2008

 

Côte d’Ivoire : Il faut mettre fin à l’impunité dont jouit un groupement estudiantin pro-gouvernemental, par Francis Chartrand


Le gouvernement devrait ouvrir une enquête et punir les responsables de crimes

Le gouvernement de la Côte d’Ivoire devrait adopter des mesures immédiates visant à mettre un terme à l’impunité dont jouissent les membres d’un groupement estudiantin pro-gouvernemental responsable de nombreux actes de violence et de comportements criminels, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Depuis 2002, lorsqu’un coup d’État manqué a plongé le pays dans une crise politico-militaire, la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI), qualifiée soit de «milice pro-gouvernementale», soit de «mafia», s’est rendue responsable de violences à caractère politique et criminel, notamment de meurtres, d’agressions, d’extorsion et de viols. Les attaques ont souvent ciblé de supposés opposants au parti au pouvoir, le Front Populaire Ivoirien (FPI).

«Depuis des années, le gouvernement ivoirien, faisant preuve d’un esprit partisan, a régulièrement omis d’enquêter sur les délits criminels graves perpétrés par des membres de la FESCI et de poursuivre ou de punir les auteurs de ces actes», a déploré Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. «L’impunité dont jouissent les groupements tels que la FESCI doit cesser dès maintenant afin de créer un climat propice à des élections pacifiques.»

Le rapport de 111 pages, intitulé « ‘La meilleure école’ : La violence estudiantine, l’impunité et la crise en Côte d’Ivoire », décrit en détail comment, au cours des dernières années, les membres de la FESCI ont été impliqués dans des attaques à l’encontre de ministres de l’opposition, de magistrats, de journalistes ainsi que d’organisations de défense des droits humains, entre autres. Selon ce qui ressort d’entretiens réalisés avec des victimes et des témoins, le groupement estudiantin a tué, violé et violemment passé à tabac des étudiants perçus comme des sympathisants de la rébellion basée dans le nord ou de l’opposition politique.

Par ailleurs, la FESCI est régulièrement associée à un comportement de type « mafieux », se livrant notamment à l’extorsion et au racket auprès de commerçants travaillant sur les sites des universités et écoles secondaires ou aux abords de ceux-ci. En tandem avec d’autres groupements de jeunes pro-gouvernementaux tels que les Jeunes Patriotes, les membres de la FESCI ont été mobilisés à de nombreuses reprises depuis 2002 pour entraver le processus de paix en Côte d’Ivoire à des moments cruciaux, au profit du FPI au pouvoir. Les actions de la FESCI, tant sur les campus qu’en dehors, ont sérieusement miné la liberté d’expression, de réunion et d’association.

Les conclusions de Human Rights Watch sont basées sur des travaux de recherche effectués pendant cinq semaines à Abidjan et Bouaké. Le rapport décrit les racines et les actions de la FESCI, ainsi que la complaisance, voire parfois la complicité du gouvernement dans la violence et les crimes perpétrés par les membres de cette association.

Au cours de leurs entretiens avec Human Rights Watch, des policiers, des professeurs et des étudiants ont évoqué le manque de volonté affiché par les forces de sécurité de l’État pour intervenir face à la conduite criminelle des membres de la FESCI. Un policier interrogé par Human Rights Watch a exprimé sa frustration devant à ce qu’il perçoit comme une incapacité de sa part à agir face aux exactions commises par la FESCI : « Aujourd’hui, la FESCI fait ce qu’elle veut et il ne se passe rien. Elle jouit d’une impunité totale. Les membres de la FESCI ne sont jamais punis et ils ne le seront jamais parce que les gens au pouvoir les soutiennent. Nous connaissons ceux d’entre eux qui ont tué, volé et tabassé mais nous ne pouvons rien faire contre eux dans le système actuel. »

Plusieurs membres du syndicat des professeurs d’université interrogés par Human Rights Watch ont décrit l’effet que la violence perpétrée par la FESCI produit sur le campus : «En ce qui concerne la liberté d’expression, nous les professeurs faisons attention à tout ce que nous disons et faisons à propos de la FESCI. Les politiciens, la police et l’armée ne vous aideront pas si vous êtes menacés par la FESCI. La FESCI peut assassiner et l’enquête ne mènera jamais nulle part.»

Certains membres de la FESCI interviewés en vue du rapport semblaient se délecter de l’impunité dont ils jouissent. Un étudiant s’est vanté du fait qu’un simple coup de fil suffit dans bien des cas pour libérer un membre de la FESCI qui a des problèmes avec la police : «Si quelqu’un se fait arrêter, disons pour avoir tabassé un chauffeur de taxi, nous allons en masse au poste de police et annonçons que nous sommes de la FESCI et nous libérons la personne.»

Il y a un an aujourd’hui, des membres de la FESCI ont pris d’assaut et saccagé le siège de deux des principales organisations ivoiriennes de défense des droits humains, la Ligue Ivoirienne des Droits de l’Homme (LIDHO) et Actions pour la Protection des Droits de l’Homme (APDH). La FESCI s’en est prise à ces organisations soi-disant en raison de leur soutien aux professeurs d’université en grève qui réclamaient une amélioration de leurs conditions de travail. Depuis lors, les efforts déployés par les deux associations pour obtenir justice suite aux attaques se sont révélés peu fructueux.

«Le fait que deux des organisations de défense des droits humains les plus importantes de Côte d’Ivoire ne soient pas en mesure d’obtenir justice pour les attaques menées par la FESCI contre leur siège est emblématique de l’injustice à laquelle se heurtent beaucoup de victimes de ce groupement estudiantin à travers tout le pays», a souligné Corinne Dufka.

Aux termes du droit international des droits humains, le gouvernement ivoirien a l’obligation de respecter le droit à la vie, à l’intégrité physique, à la liberté et la sécurité de la personne, ainsi que le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Il lui incombe notamment d’empêcher des acteurs privés tels que la FESCI de porter atteinte à ces droits et s’ils les bafouent, il est tenu de les poursuivre en justice.

Lors d’un entretien réalisé le 26 mars dernier avec Human Rights Watch, le Secrétaire général actuel de la FESCI, Augustin Mian, a reconnu « qu’il y a eu de la violence et d’autres problèmes » et s’est engagé à créer « une nouvelle FESCI, mûre, qui tourne le dos à la violence ». Human Rights Watch se réjouit de ces déclarations et appelle en même temps le gouvernement de la Côte d’Ivoire à prendre des mesures visant à mettre fin à l’impunité qui permet aux activités violentes des groupes de jeunes de se poursuivre librement. Les actions qui s’imposent sont notamment l’ouverture d’une enquête immédiate de la police au sujet des crimes commis par des membres d’associations de jeunes telles que la FESCI.

«Mettre un terme à la violence dont la vie universitaire est aujourd’hui devenue synonyme en Côte d’Ivoire requerra un engagement à long terme de la part du gouvernement, en particulier des ministères de l’enseignement supérieur, de l’intérieur et de la justice», a relevé Corinne Dufka.

Au cours des huit dernières années, la Côte d’Ivoire a été rongée par une crise sociale, politique et militaire qui a accéléré le déclin économique, approfondi les clivages politiques et ethniques, provoqué la partition de facto du pays entre le sud contrôlé par le gouvernement et le nord contrôlé par les rebelles, et conduit à des violations des droits humains d’une ampleur inédite depuis l’indépendance de la nation. Les groupements de jeunes – pro-gouvernementaux et pro-rebelles – ont joué un rôle important dans la crise, les deux camps ayant à la fois infligé et subi des actes d’une extrême violence. La FESCI est le berceau où ont été nourris la plupart de ces mouvements de jeunes.

Depuis la signature en mars 2007 d’un accord de paix entre le gouvernement et les rebelles basés dans le nord, l’Accord de Ouagadougou, les tensions politiques se sont atténuées sur tout le territoire de la Côte d’Ivoire, poussant les groupes pro-gouvernementaux tels que la FESCI et les Jeunes Patriotes à se faire plus discrets. Néanmoins, si les tensions politiques venaient à réapparaître, en particulier à la veille de l’élection présidentielle pour l’instant prévue fin novembre 2008, beaucoup d’observateurs politiques craignent que ces groupes reprennent immédiatement les activités pour lesquelles ils se sont rendus tristement célèbres au plus fort de la crise.

«Le fait que l’Accord de Ouagadougou ait réussi à réduire les tensions a créé un climat propice pour combattre le vieux problème de l’impunité en Côte d’Ivoire», a déclaré Corinne Dufka. «Le gouvernement devrait tirer parti de cette opportunité pour s’attaquer à cette question qui non seulement nuit à la liberté d’expression, de réunion et d’association mais mine également l’État de droit et les perspectives de paix à long terme.»

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