mardi, août 26, 2008

 

Les émeutes de Montréal-Nord : quelques observations, par Carl Bergeron


«Les médias se sont concentrés sur la mort de Freddy Villanueva lors d’une opération policière. Or on ne sait pratiquement rien de cette mort, l’affaire est sous enquête. Ce qui n’a pas besoin d’un rapport d’enquête pour être tout de suite commenté, ce sont les émeutes. De ce côté, pourtant, très peu d’analyse, comme si le fait qu’une bande de voyous ait tiré sur des policiers, des pompiers et des ambulanciers était sans conséquence. Comme si une telle émeute ne s’inscrivait pas dans une logique de violence pure, mais dans une perspective de rationalité “progressiste”, opposant d’un côté les “exclus” et de l’autre les “bourreaux”».

Carl Bergeron, 28 ans, est diplômé en littérature et en sciences politiques. Essayiste, il a récemment publié L’État québécois et le carnaval de la décadence. Il est aussi directeur du blog L’intelligence conséquente. Nous reprenons son billet du 12 août portant sur les récentes émeutes de Montréal-Nord. Pour un dossier complet sur ces émeutes, cliquez ici.

Les émeutes de Montréal-Nord : quelques observations

Observons d’abord, des événements de Montréal-Nord, que le point focal des analyses médiatiques ne s’est pas concentré sur les émeutes en tant que tel, qui étaient le véritable événement à creuser et à couvrir, mais sur la mort du jeune Freddy Villanueva dans un parc lors d’une opération policière. La chose n’est pas anecdotique, lorsqu’on considère qu’on ne sait pratiquement rien sur la mort de Villanueva, une affaire sous enquête par la Sûreté du Québec. Les versions entendues de part et d’autre sont si contradictoires que seule l’enquête pourra faire le point sur ce qui s’est véritablement passé. Le cours normal des procédures devra faire son chemin avant que l’on en sache davantage. Le mieux que l’on puisse faire dans les circonstances est d’attendre d’avoir tous les faits en main avant de juger.

En revanche, ce qui n’a pas besoin d’un rapport d’enquête pour être tout de suite commenté, ce sont les émeutes. De ce côté, pourtant, très peu d’analyse, comme si le fait qu’une bande de voyous ait tiré sur des policiers, des pompiers et des ambulanciers était parfaitement sans conséquence ; comme si des cocktails Molotov (une arme digne d’une guerre civile) n’avaient pas été employés contre les forces de l’ordre ; et comme si, enfin, une telle émeute ne s’inscrivait pas dans une logique de violence pure, mais dans une perspective de rationalité “progressiste”, opposant d’un côté les “exclus” et de l’autre les “bourreaux”. La Presse titrait d’ailleurs un de ses articles “Une communauté en colère”, ce qui représentait assez bien le schéma social dans lequel on tenait à nous présenter les événements.

Les émeutes de Montréal-Nord sont un dossier trop grave pour être laissé entre les mains des travailleurs communautaires, des infirmiers sociaux, des éditorialistes mollassons, des thérapeutes de quartier, de tous ceux qui ne pourront s’empêcher, une fois de plus, de ne voir que du “social” là où il n’y a que du politique. Les émeutes de Montréal-Nord doivent au contraire interpeller en tout premier lieu la Sécurité publique, et ultimement l’armée. Ce à quoi nous avons assisté relevait d’une démonstration de force de la part de voyous qui affichaient explicitement des revendications territoriales. “C’est NOTRE quartier ! On va vous protéger !“, criait l’un de ces bandits aux citoyens rassemblés sur le trottoir, alors que ses compatriotes, plus loin, allumaient feu par-dessus feu, menaçant les habitations et les commerces voisins. Ces voyous ne reconnaissent plus l’autorité de la Ville de Montréal sur le territoire de Montréal-Nord. Ils ont donc décidé de faire la guerre à la police, à la manière d’un gang de rue qui dispute à un gang rival le monopole d’un territoire.

Cette guerre n’est pas nouvelle, elle a cours depuis de nombreuses années dans les coulisses du lobbying social. Elle a commencé avec l’établissement tous azimuts de politiques victimaires, qui ont miné l’autorité de la police et l’ont féminisé à outrance, transformant cette institution dévouée à la sécurité et à l’ordre en hôpital humanitaire et en centre d’aide psychologique. Combien d’efforts déployés, depuis 15 ans, pour se “rapprocher” des jeunes, jouer au basket, gonfler des ballounes dans les McDo, donner des nananes, se promener en vélo, faire de la “sensibilisation”, ouvrir des “postes communautaires” ?

Les lobbys victimaires – qui sont d’une rare perversité – ont voulu que la police s’abaisse au niveau des jeunes jusqu’à ce que son autorité se confonde avec eux. Ils ont réussi. La police est désormais à “égalité” avec les jeunes, en particulier ceux des quartiers sensibles comme Montréal-Nord. C’est sous cet angle que l’on doit comprendre le comportement des voyous qui n’hésitent plus à défier ouvertement les policiers, refusant d’obtempérer lorsqu’ils se font appréhender. La police est notre “chum” ? Alors on saute dessus, on la poignarde, on l’étrangle, on la tabasse, on l’insulte, on la méprise comme si c’était notre “chum”. Les victimes chez les gangs de rue ne sont-elles pas toutes tuées par d’anciens “chums” ? La dernière chose à faire avec de pareils individus, c’est de devenir leur “chum”. Car ces jeunes n’entendent qu’une chose : la force. C’est précisément ce qui manque au SPVM (ndlr : service de police de la Ville de Montréal) et à la société en général, qui a complètement perdu le sens de la notion d’autorité, sans laquelle aucune société n’est viable et aucun monde commun possible.

Ce que nous avons vu à Montréal-Nord est condamné à se répéter d’un quartier à l’autre, à mesure que l’autorité de l’État, à travers un service de police moribond et un système de justice complaisant, continuera de se fragmenter. Progressivement, la loi de la jungle se substituera à la loi de la société, et les mafieux et autres gangsters deviendront, comme jadis au temps de la barbarie, des chefs de tribu en charge de la “sécurité” d’une parcelle de territoire. Les lecteurs réguliers de L’I. C. le savent, j’ai moi-même quitté le quartier où j’habitais depuis de nombreuses années, Côte-des-Neiges, parce que la vie y était devenue insoutenable, la violence trop courante et les gangs de rue trop présents. Je ne serais guère étonné que des émeutes semblables éclatent à Côte-des-Neiges d’ici cinq ou sept ans, tant la ghettoïsation de ce quartier saute aux yeux.

Des secteurs entiers de la ville, avec le concours des institutions québécoises, qui encouragent ce type de différentialisme culturel, sont en train de faire sécession symboliquement avec l’espace politique national. À force de répéter aux immigrés qu’ils sont des victimes ; qu’ils sont intrinsèquement supérieurs de par leur caractère étranger, mobile, nomade, coolissime ; à force de leur dire que notre histoire n’est remplie que d’horreurs, et que la moindre de leur coutume folklorique est admirable ; à force de leur marteler que l’Occident est méprisable ; qu’il est possible de faire n’importe quoi au Québec, on pourra toujours s’accommoder ; à forcer de se rouler dans la haine de soi, eh bien, voyez-vous, ils ont fini par nous croire : on est des merdes et il leur faut nous éliminer.

Le culte hystérique de l’Immigré, de l’identité métèque, du métis, du bâtard, du déraciné, a fini par activer un mécanisme de ressentiment très fort chez une partie de la population immigrante, qui ne comprend plus pourquoi elle devrait se soumettre à des institutions et à des codes qui, selon la rhétorique de la repentance en vigueur, lui seraient de toute façon inférieurs. Le sentiment d’appartenance qui est en train de se développer chez les immigrés relève du communautarisme ethnique, qui non seulement se pose à l’écart de la référence nationale, mais se pose contre. On passe ainsi d’une hostilité passive à une insurrection active, d’un repli communautaire à une offensive identitaire. Remarquez que ces conditions de guerre civile ont été permises par nos autorités, et par personne d’autre. La lâcheté, la bien-pensance progressiste, la langue de bois et la rectitude politique de la classe médiatique et politique ont fait le reste. Aujourd’hui, maintenant que la guerre a éclaté et qu’elle est passé du champ symbolique — où elle se déroulait depuis plusieurs années — à la réalité, les “pacifistes” nous disent que ce n’est pas une guerre, mais un mal de vivre ; qu’il ne faut pas répliquer par la répression, mais par la “prévention”. Ils diront la même chose des émeutes de Côte-des-Neiges dans cinq ans, et ainsi de suite jusqu’à ce que la vague de violence les atteigne personnellement dans les beaux quartiers d’Outremont et de Saint-Lambert : alors là seulement ils se réveilleront, et il sera trop tard.

J’ai lu, sous la plume de plusieurs chroniqueurs, que la “violence de part et d’autre” n’était pas “acceptable” et que jamais la “répression n’avait réglé quoique ce soit“. Qu’est-ce que cela signifie ? Comment parler de “violence de part et d’autre” quand il s’agit des pouvoirs publics face à une bande de voyous ? Le propre de l’autorité de l’État est de concentrer entre ses mains le monopole de la violence sur son territoire : c’est la définition fondamentale de la souveraineté politique. Nul autre que l’État n’est censé user de violence, et pourtant c’est ce monopole même que les voyous ont contesté, bénéficiant de l’appui tacite de la classe médiatique, pour qui les “victimes” et les “exclus” auront toujours raison contre “l’ordre établi”.

Dans une société civilisée, la violence légitime existe, et elle ne se situe pas “de part et d’autre” : elle se situe d’un seul côté, celui de la loi et de l’ordre, qui a le devoir de l’utiliser pour le bien commun. On a pourtant senti, dans la molle condamnation des émeutes, une reconnaissance de la légitimité de la violence chez les voyous, comme si ceux-ci avaient eu raison de tout piller sur leur passage suite à la mort du jeune Villanueva ; une mort sur laquelle, je le répète, on ne sait toujours rien.

Quant à ceux qui évoquent la fictive “brutalité policière”, se plaisant à recenser les décès qui sont survenus lors d’opérations policières du SPVM au cours des ans, comme ce fut le cas dans La Presse, ils ne méritent qu’une chose : qu’on enclave la ville de Montréal et que l’on suspende l’exercice de la loi sur le territoire pour une période indéfinie. Pas de police, pas de patrouille, pas de fusils, pas de “brutalité policière”, de “profilage racial” et autres ignominies occidentalo-centristes. Rien. Que du dialogue et de l’ouverture entre “citoyens d’origines diverses”. Des pistes cyclables, des pique-niques, des ateliers INM (ndlr : Institut du nouveau monde).

Quant à nous, sales rednecks “de souche”, on s’installera de l’autre côté du fleuve, avec nos jumelles et nos sales fusils. Téléphone cellulaire et walki-talkie à la main, on aura alors tout le temps voulu pour discuter de différents sujets avec les techno-progressistes restés sur le terrain : ”ouverture sur le monde”, “inclusion”, “médiation interculturelle”, “non-violence”, etc. Il est possible que la conversation soit fréquemment interrompue en raison des incendies et des cocktails Molotov, qui risquent d’endommager les infrastructures de télécommunication, mais c’est un détail. Rien ne saurait empêcher le dialogue. Le dialogue est éternel et invincible…

Le pouvoir médiatique surplombe désormais le pouvoir politique, à un tel point que l’on peut dire des médias, avec Élisabeth Lévy et Philippe Cohen, qu’ils sont en mesure “de façonner le réel”. Ceci expliquerait le parti pris des médias pour les émeutiers et leur fausse neutralité compassionnelle pour les policiers. Quand les médias mettent à l’avant-plan la violence émotionnelle d’une mère monoparentale éplorée, qui crie vengeance à la une de tous les quotidiens, et qu’ils recueillent 24 heures plus tard les fruits de leur mise en scène avec des émeutes plus télégéniques que jamais, ils font plus que “couvrir l’événement” : ils le créent.

Dans leur essai sur le journalisme, Notre métier a mal tourné (Mille et une nuits, 2008), Lévy et Cohen décrivent le journalisme comme une “croyance”, qui se présente toujours sous les auspices du progressisme : “Du point de vue du journalisme, écrivent-ils, le passé est forcément condamnable, et l’avenir nécessairement désirable, de même que le pouvoir est suspect et sa contestation légitime.” C’est dans cet esprit que le journalisme est devenu inapte à incarner le jugement critique qui lui est historiquement imparti. Le SPVM a nécessairement foiré, c’est une évidence incontestable ; même si on ne sait rien de la mort de Villanueva, il faut supposer que les autorités ont mal agi et que les émeutes reposent en bonne partie sur une causalité sociologique, sur des données décryptables à l’aune du progressisme social. À l’inverse, jamais il ne leur viendrait à l’esprit que c’est la contestation systématique du pouvoir, chez les émeutiers, qui pourrait constituer tout le problème dans cette affaire. Car présenter la réalité sous cet angle, pour les médias, viendrait compromettre à terme le “consensus progressiste” dont ils font justement leur pain et leur lait.

Les émeutiers font un trop bon Show pour être comme ça, du jour au lendemain, disqualifiés en tant que protagonistes-clés de la scène médiatique. Ce sont des matamores, des criminels, des bandits, mais qu’importe : on va leur donner une profondeur psychologique qu’ils n’ont pas, on va scruter leur passé, retrouver des photos de famille ; bref, on va raconter une histoire. Avec des larmes, des victimes, de “l’oppression”, de l’émotion, des mères monoparentales, des revendications. Les lobbys victimaires vont se refaire une santé, le consensus médiatico-progressiste va en appeler à plus de fric pour les organismes communautaires, thérapies scolaires et autres fariboles ; les “Québécois de souche” devront une fois de plus être rééduqués ; les activistes ethniques vont dénoncer le “racisme” ; les policiers vont encore s’essayer à la convivialité et porteront même, qui sait, un nez de clown pour patrouiller ; les démagogues vont continuer d’alimenter la poudrière ; et puis ce sera un rendez-vous dans Côte-des-Neiges, d’ici cinq ans, pour un nouvel épisode du Show.

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