samedi, janvier 31, 2009
Un communiste britannique critique l’alliance entre la gauche "kitsch" et les forces islamofascistes réactionnaires, par Francis Chartrand
Sean Matgamna, un communiste britannique, constate que les fascistes religieux ont politiquement dominé à un degré stupéfiant les manifestations en faveur des Palestiniens de la bande de Gaza. Il critique la gauche kitsch pour son idiotie suicidaire de courtiser le cléricalo-fascisme islamique. Pour lui, cette « gauche » se fait politiquement hara-kiri et devra répondre d’avoir contribué à consolider l’emprise du clergé islamiste réactionnaire sur les jeunes musulmans en le rendant respectable au sein du mouvement syndical.
Cet article d’une grande lucidité de Sean Matgamna correspond au message de Point de Bascule. Nous avons dénoncé l’alliance contre nature entre la « gauche » et l’extrême droite religieuse islamiste réactionnaire. Matgamna publie ses commentaires dans le Worker’s Liberty dans le cadre d’une analyse des manifestations tenues à Londres pour protester contre les opérations militaires dans la bande de Gaza.
Worker’s Liberty est le journal du mouvement communiste Alliance pour la liberté des travailleurs. Leur objectif est la solidarisation des travailleurs en vue d’une révolution contre le capitalisme et l’instauration de la propriété collective des moyens de production.
La « gauche », en particulier le SWP (ndlr : Socialist Workers Party), a fait le gros du travail d’organisation des manifestations. Mais le message politique a été celui des chauvins islamiques. En termes d’agenda politique – soutenir le Hamas, soutenir la guerre arabe et islamique contre Israël, conquérir et détruire Israël - la grande manifestation du 10 janvier à Londres a été une manifestation chauviniste arabe ou islamique et même cléricalo-fasciste. Leurs slogans, leurs politiques, leurs programmes, relayés et amplifiés par la gauche kitsch, ont dominé l’agenda politique de la manifestation, noyant tout le reste.
Les fascistes religieux ont politiquement dominé les manifestations à un degré stupéfiant. Ce n’était pas des manifestations pour la paix, mais des manifestations pro-guerre, des appels à la guerre, des manifestations pour la guerre du Hamas et pour une guerre arabe générale contre Israël.
Les appels à une guerre arabe généralisée contre Israël sont le fond de commerce de la rhétorique de George Galloway depuis les manifestations contre une éventuelle guerre contre l’Irak en 2002-3. Le samedi 10 janvier à Londres, de nombreuses pancartes représentaient des chefs d’États arabes dépeints comme des traîtres pour ne pas venir en aide aux Palestiniens.
Par leurs chants et leurs slogans politiques, les forces dominantes dans les manifestations protestaient non seulement contre les actions d’Israël dans la bande de Gaza, mais contre Israël en tant que tel, contre le droit d’Israël à exister. L’opposition à la guerre dans la bande de Gaza et l’indignation face à cette guerre n’ont été que le prétexte immédiat pour réclamer la disparition d’Israël et du « sionisme ».
Ces revendications sont depuis longtemps un thème central des manifestations « anti-guerre », mais j’ai fortement l’impression qu’elles sont maintenant plus audacieuses, plus crues et plus explicites que jamais.
Le 10 janvier, les membres du SWP scandaient dans des porte-voix : « Détruire Israël ». Le slogan « La Palestine sera libérée du fleuve à la mer », appelant à une Palestine arabe qui inclut les territoires d’Israël d’avant 1967, était omniprésent. Des pancartes appelaient à « La liberté pour la Palestine », ce qui, tant pour les gauchistes kitsch que pour les chauvins arabes et islamiques, signifie la gouvernance arabe ou musulmane sur tout le territoire de la Palestine d’avant 1948. Cela implique l’élimination de l’État hébreu, ce qui ne peut être réalisé qu’en conquérant Israël et en tuant une grande partie de sa population.
Les affiches dénonçant les leaders arabes qui n’attaquaient pas Israël, mêlées à des chants et d’autres affiches, signifiaient plus qu’une protestation contre Israël dans le but d’alléger la pression sur la population de Gaza.
Des pancartes comparaient Israël au nazisme, et les actions d’Israël dans la bande de Gaza au massacre organisé et systématique des Juifs dans l’Europe dominée par Hitler. Les affiches évoquant les 60 ans depuis la Nakba – quoique peu nombreuses – s’ajoutaient aux chants sur « La Palestine du fleuve ... à la mer », confirmant leur signification.
Le thème dominant, « Cessez le massacre à Gaza », compréhensible dans les circonstances, ne peut pas, en l’absence de toute demande que le Hamas arrête sa guerre, être autre chose qu’un appui au Hamas et à la guerre de missiles qu’il livre à Israël. Même la notion de « massacre » établit une équivalence entre le Hamas et la population générale, et exprime une forme de solidarité avec le Hamas et sa guerre de missiles ainsi qu’avec sa répression cléricalo-fasciste de la population de Gaza.
Parler de « génocide » dans la bande de Gaza implique une équation absolue entre la population de Gaza et le Hamas, et une solidarité absolue avec le Hamas.
Même les Juifs les plus visibles de la manifestation du 10 janvier, le Neturei Karta, l’équivalent juif du Hamas qui, pour des raisons religieuses, veulent mettre fin à Israël – s’inséraient harmonieusement dans cet ensemble politique cléricalo-fasciste.
Lors de la manifestation du 3 janvier, un groupe d’islamistes politiques près de moi, dont certains avaient le visage recouvert par un foulard ou une cagoule avec des trous pour les yeux et la bouche, ont tendu leur bras avec le poing fermé et commencé à scander Allahu Akhbar (allah est grand) lorsque nous sommes passés devant la Chambre des communes.
Le 10 janvier, les orateurs sur l’estrade ont de façon absurde établi une équivalence entre Israël – même Israël d’avant 1967 - et l’Apartheid. Ils ont dit qu’Israël peut être éliminé comme l’a été le régime d’Apartheid imposé par les blancs en Afrique du Sud.
La « gauche » et l’ex-gauche étaient largement représentées sur l’estrade le samedi 10 janvier. Andrew Murray du Parti communiste de Grande-Bretagne (agissant comme président), Tariq Ali (le riche « révolutionnaire sympa » d’autrefois, au teint grisâtre comme s’il sortait du congélateur, un revenant des manifestations anti-guerre du passé !), Tony Benn, George Galloway et Jeremy Corbyn, ont pris la parole. Lindsey German, animateur de Stop the War Coalition, portait un manteau rouge vif, mais c’est tout ce qu’il y avait de rouge chez elle ou sur l’estrade.
Il n’y a eu aucune critique ni même une distanciation du chauvinisme arabe ou islamique et du cléricalo-fascisme d’une grande partie de la manifestation. On n’a eu droit qu’à une condamnation unilatérale du bellicisme et à un appui au bellicisme du Hamas, et à des demandes plus ou moins directes et audacieuses pour la fin d’Israël. Craig Murray, ancien diplomate britannique, est celui qui a appelé le plus clairement à ce qu’on efface 60 ans d’histoire et qu’on élimine Israël.
Il n’y a eu aucune critique des régimes arabes et islamiques sauf pour dénoncer leur « trahison » envers les Palestiniens pour ne pas faire la guerre à Israël. Ni aucune référence à la classe ouvrière israélienne ou à l’idée (même si ce n’est pas pour demain) que les travailleurs arabes et israéliens devraient s’unir.
Ainsi, la « gauche » a été entièrement soumise à l’hégémonie de l’agenda, des slogans et du programme du chauvinisme arabe et islamique, et, de façon explicite, au clergé fasciste de l’islam politique.
Les manifestations actuelles sont l’aboutissement d’un processus qui dure depuis six ou sept années pendant lesquelles la « gauche » a fait la promotion de l’agenda du clergé fasciste islamique, et même de ses organisations, tels le British Muslim Initiative et la Muslim Association of Britain, une façade des Frères musulmans. Le Hamas est une émanation des Frères musulmans.
La « gauche » demeure largement absente des communautés musulmanes de Grande-Bretagne. La preuve en est que le SWP a recruté très peu de candidats d’origine musulmane après une demi-décennie d’accommodement de l’islam tout en se présentant comme le meilleur « défenseur des musulmans ». Elle a plutôt réussi à pousser les jeunes des communautés musulmanes dans le giron des réactionnaires de l’islam politique et religieux.
Elle a courtisé et promu les forces réactionnaires de l’islam politique, social et religieux au sein de ces communautés. Au lieu d’organiser des mouvements anti-guerre sur la base de l’agenda laïque, démocratique et socialiste de la classe ouvrière, elle a organisé un mouvement « anti-guerre » sur la base de l’agenda politique décrit ci-dessus.
Au lieu de promouvoir et de construire l’unité de la classe ouvrière autour de slogans comme « noirs et blancs, musulmans, chrétiens, hindous, Juifs et athées, tous unis dans un même combat », la gauche kitsch s’est transformée en mouvement communautariste, se présentant comme le meilleur « défenseur des musulmans ». C’est impensable de réaliser l’unité de la classe ouvrière sur la base politique du communautarisme musulman.
Au lieu d’aider les jeunes rebelles sécularisés des communautés musulmanes à se démarquer de leurs origines, et au lieu de profiter des manifestations contre la guerre pour élargir leur perspective initiale, la gauche kitsch a pactisé avec les communautés musulmanes en tant que telles, et avec ses éléments conservateurs et réactionnaires, y compris les clérico-fascistes. Ce faisant, la gauche a contribué à accroître l’emprise de cette extrême-droite et l’adhésion des jeunes, y compris les femmes, aux organisations de l’islam politique.
Deux éléments en apparence contradictoires ont dominé les manifestations. L’agenda chauvin de l’islam politique et du cléricalisme fasciste leur a donné leur couleur politique. On a eu des manifestations islamiques chauvinistes dans lesquelles les forces de la gauche kitsch ont noyé leur identité, tout comme l’a fait le parti communiste staliniste allemand dans les deux ou trois années avant l’arrivée de Hitler au pouvoir. Le parti a alors renié son identité propre en épousant la préoccupation fasciste de « libérer » l’Allemagne du Traité de Versailles.
Et ... c’était une manifestation largement apolitique. Une grande partie des manifestants, peut-être la majorité, n’ont pas étudié la politique du conflit israélo-arabe ni examiné les options, ou étudié les implications des slogans et fait des choix délibérés. Ils ont plutôt réagi de façon « brute » aux horreurs de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza et adopté les slogans, les idées et les programmes conçus par les islamistes et leurs alliés de la « gauche » sans se poser de questions.
Par exemple, pour un grand nombre de manifestants, « Liberté pour la Palestine » ne signifie pas qu’ils comprennent la signification de ce slogan pour ceux qui le brandissent : c’est le langage codé pour la Palestine pré-1948. Pour un grand nombre de manifestants, « Libérez la Palestine » signifie probablement plutôt la libération des régions à majorité palestinienne, soit la bande de Gaza et la Cisjordanie.
La prédominance du cléricalo-fascisme dans les manifestations est en partie le résultat de cet analphabétisme politique. La politique de la gauche kitsch vis-à-vis de l’islam politique a permis que des personnes qui réagissent de manière « brute » deviennent des instruments au service du cléricalo-fascisme.
Les manifestations ont également été plus que jamais ouvertement antisémites. Les pancartes assimilant le sionisme au nazisme et sur l’« Holocauste » perpétré par Israël ont toutes des implications bien au-delà de la politique israélienne et d’Israël lui-même. Les appels au boycott des produits israéliens, compréhensibles à leur face même, occupaient une place centrale. Le principal argument contre un tel boycott est qu’il s’agit d’une arme qui frappe tous les Israéliens sans distinction, et qui deviendra rapidement une arme ciblant les Juifs partout dans le monde, y compris en Grande-Bretagne. Un événement anodin le 10 janvier illustre ce point : un café Starbucks a été attaqué par des manifestants apparemment parce que certaines personnes croyaient que les propriétaires étaient juifs.
La manifestation du 10 janvier montre que l’islam politique a maintenant une présence politique sérieuse en Grande-Bretagne. Les socialistes et les laïcs ne peuvent tirer confort de l’expérience de la première moitié du 20e siècle où les communautés juives en proie aux superstitions se sont rapidement assimilées, et où la gauche a grandement accru ses rangs en sécularisant les Juifs. La forte politisation islamiste des communautés musulmanes n’est pas spécifique à la Grande-Bretagne, et elle n’est pas non plus un simple mouvement d’opprimés.
Les communautés musulmanes font partie d’un mouvement mondial qui comprend des États et certaines des personnes les plus riches de la planète (en Arabie Saoudite, etc). En termes politiques, ce mouvement mondial est très réactionnaire. Il est peu probable qu’il sera bientôt débarrassé de son actuel caractère réactionnaire.
La gauche sérieuse doit trouver des façons de soutenir les communautés musulmanes contre le racisme, la discrimination et l’exclusion sociale, sans s’accommoder politiquement ou socialement de leurs traits réactionnaires, et sans tomber dans l’idiotie suicidaire de courtiser le cléricalo-fascisme islamique. Nous devons favoriser une approche alliant la participation des travailleurs et des jeunes musulmans au mouvement syndical, et l’engagement du mouvement syndical à défendre les communautés contre le racisme et la discrimination.
Notre discours politique doit être du type : « noirs et blancs, unissons-nous et luttons », et non celui du communautarisme islamique qui domine la gauche depuis une décennie. Dans le cadre de cette approche générale, nous devons lutter contre le fascisme cléricalo-islamique et soutenir ses adversaires au sein des communautés musulmanes.
La gauche kitsch a beaucoup de comptes à rendre pour la dernière décade. Il n’y a aucun moyen de mesurer exactement ce qui aurait pu être fait pour éloigner des pans de la jeunesse musulmane de l’islam politique, mais si la « gauche » - et en premier lieu le SWP – avait été fidèle à ses principes d’un mouvement de la classe ouvrière internationaliste et laïque, tout en défendant les musulmans contre le racisme et la discrimination, il est certain qu’un plus grand nombre de personnes d’origine musulmane auraient été gagnées au socialisme. Le clergé fasciste n’aurait pas eu l’influence politique pratiquement incontestée qu’il a eue, et qu’il a encore.
Il faut dire ici que la déferlante mondiale de l’islam politique favorise l’adhésion de larges pans de la jeunesse musulmane à l’islam politique réactionnaire. Leur principale forme de « rébellion » s’exerce contre l’intégration, contre les forces « modérées », et pour le militantisme politique islamiste.
Même là, on aurait pu faire beaucoup plus. Au lieu de cela, la gauche kitsch s’est fait politiquement hara-kiri, elle a adopté le vert islamique et a contribué à assurer la domination de l’agenda politique islamique chauvin conservateur et réactionnaire dans les communautés musulmanes.
Elle a fait tout ce qu’il est possible de faire pour promouvoir et renforcer le cléricalisme islamique fasciste et le rendre politiquement respectable au sein du mouvement syndical. Nous sommes sans doute loin de voir toutes les conséquences de la politisation d’une partie de la communauté musulmane sous l’hégémonie cléricalo-fasciste qui s’est produite et qui se poursuit encore aujourd’hui.
Lien
Libellés : Bétise humaine, Communisme, Francis Chartrand, Islam, Religion et fanatisme, Royaume-Uni
S'abonner à Messages [Atom]