mardi, septembre 08, 2009

 

Défendre et protéger l’Athéisme à travers le monde, par Anne Humphreys


Quand on m’a demandé de parler sur le sujet de « Défendre et protéger l’athéisme à travers le monde », j’ai été aussitôt frappée par l’ampleur du sujet. Penser à cela. Penser aux obstacles sociaux, politiques et culturels que nous devons surmonter. Penser à tout le travail qui nous attend. Une des choses que je dis au public américain, en débattant de ces questions, c’est que lorsqu’on se promène autour de Washington, il est frappant de voir comment chaque organisation et chaque groupe d’intérêt est représenté là-bas. Il y a plus de 30 000 groupes de pression enregistrés dans la capitale de notre nation. Et presque chaque groupe religieux a un bureau là-bas. Ils représentent les intérêts des Eglises des moquées et des temples ; et ils dépensent des millions de dollars pour s’assurer que ces intérêts sont protégés et que leurs projets deviennent des lois. Cela est reproduit dans chacune des capitales d’Etat dans toute l’Amérique du Nord.

Les groupes religieux disposent d’énormes machines culturelles et politiques efficaces pour former l’opinion publique et mobiliser leurs partisans. Quand je parle « d’intégristes religieux », vous pensez probablement à une personne dépourvue d’éducation, un charmeur de serpent sans apprêt, à la bouche écumante qui vomit des imprécations tirées de la Bible ; mais aux Etats-Unis, les Evangélistes chrétiens et les intégristes sont devenus des cadres politiques à la pointe du progrès. Ils contrôlent le Parti Républicain. Ils disposent de chaînes de radio et de télévision, et même les extrémistes comme Pat Robertson et James Dobson sont courtisés par les média laïques. L’Association de la Famille Américaine se vante d’inonder les élus au Congrès avec 50 000 lettres, fax et appels téléphoniques en 24 heures – et cela permet de déterminer quelle loi est adoptée et qui est nommé dans l’ordre judiciaire. Ils représentent en fait une machine politique qu’aucun homme politique ne peut ignorer. Je dis aux athées que si nous, nous voulions ce genre de présence, nous devrions emprunter un chapitre du manuel de « savoir-faire » de la droite religieuse. Nous, nous avons commencé à élire et à influencer des hommes politiques, c’est pourquoi j’ai mis en œuvre le Comité d’Action Politique des Américains Sans Dieu. Pour ce qui est de devenir plus efficace, nous devons avoir plus de jugeote politique, nous devons faire avec nos propres idées ce que Pat Robertson et Dobson ont fait avec les leurs. Nous devons devenir des « acteurs » du processus politique.

Je ne viens pas ici pour vous dire de faire pareil. C’est à vous de prendre la décision. Ce que je peux vous dire, c’est qu’à travers le monde, nous serions bêtes de ne pas nous saisir des occasions que nous offre la démocratie. Si vous voulez changer la culture, si vous voulez influer sur le cours de la politique, il faut faire une partie de cela de l’intérieur. Cela ne veut pas dire que nous négligeons les autres choses pour lesquelles nous nous sommes organisés. Et si nous sommes réalistes, nous devons accepter l’idée que, dans l’avenir immédiat, au moins, nous resterons – en partie – en tant qu’« extérieurs », en tant que minorité. Nous nous plaisons à dire comment la laïcité s’étend, comment les athées « sortent du placard » – et tout cela est vrai – mais il y a des forces contraires qui travaillent ici dont nous avons à tenir compte. La question est que, malgré la mondialisation et le fait que particulièrement en Occident nous pensons que nous sommes des modernes et des universalistes – des citoyens du monde progressant dans le sens des Lumières – l’intégrisme religieux progresse. Il y a beaucoup de raisons à cela. Mais la question reste posée que la diffusion de la « bonne parole », les messages positifs et humanistes de l’athéisme et de la laïcité vont demeurer dans le cours de notre vie une bataille difficile et âpre, avec des avancées et des reculs.

Donc cela me ramène à la question du début : comment défendons-nous et faisons-nous avancer la cause de l’athéisme et la séparation totale, absolue du gouvernement et de la religion. La laïcité et cette séparation demeurent l’expression de l’athéisme dans l’espace public. La croyance religieuse devrait rester une affaire de choix personnel, et ceux qui pratiquent une religion – en tant que membres d’une société libre – doivent être libres de croire en n’importe quelle divinité ou divinités qu’ils choisissent d’adorer. Ils doivent être libres de se rassembler. Ils doivent être libres de pratiquer leur religion dans la mesure où cela ne viole pas les Etats civils « neutres ». Mais la croyance religieuse ne doit pas être élevée au niveau d’un statut de « droit spécial » avec des privilèges spéciaux, c’est ce qui arrive aujourd’hui aux Etats- Unis. Nous avons une liste qui s’allonge chaque jour de lois qui confèrent aux individus et aux groupes religieux de ces « droits spéciaux » et les Athées Américains combattent contre cette législation au niveau des Etats et au niveau fédéral depuis plus d’une décennie.

Et le revers de la médaille est aussi vrai. Tout comme les religions doivent être libres d’exprimer leurs opinions, aussi odieuses et erronées soient-elles, les athées doivent aussi être libres de critiquer la religion. Nous devons être libres d’exprimer nos opinions dans l’espace public, aussi « offensantes » ou provocantes ou « blasphématoires » que les religieux puissent les considérer. Et voilà le mot que je cherche : blasphème ! Dans son œuvre historique « Commentaire du Droit », le juriste du XVIIIe siècle William Blackstone a déclaré que le blasphème était le fait « de nier la providence de Dieu, d’adresser des reproches arrogants à notre Christ Sauveur, de tourner en dérision les Saintes Ecritures, ou de les exposer au mépris et au ridicule ».

Vous constatez que cette définition est rédigée de manière à protéger la foi chrétienne ; et sûrement en Occident, les lois sur le blasphèmes n’ont été invoquées que pour cela. Mentionnez le blasphème à un Américain moyen, dont beaucoup connaissent à peine le Premier Amendement à notre Constitution fédérale, et il est probable qu’on vous répondra que c’est une pratique obsolète. Que cela n’existe plus. Ce n’est pas le cas. Mais dans le reste du monde, les lois contre le blasphème existent bel et bien.

Avec l’irruption des religions intégristes à travers le globe, de plus en plus de voix se font entendre pour réclamer des limites à la libre expression et des sanctions pour ceux qui « insultent » ou « diffament » une religion et pour ceux qui peuvent « offenser » les croyants en mettant en cause la vérité, la valeur ou l’historicité de ces croyances. Parmi les offensés les plus nombreux ici, on trouve bien sûr l’Islam, et permettez-moi de vous rappeler juste un exemple de cela, qu’il ne faut pas oublier. C’est le cas de l’écrivain Salman Rushdie. Vous vous rappelez que M. Rushdie est un auteur de fictions, et que c’est son roman « Les Versets Sataniques » qui l’a placé au centre des guerres culturelles internationales qui faisaient rage à cette époque. Le livre était censé décrire Mahomet sous un jour peu favorable. Quand le Premier ministre Indien Rajiv Gandi a soutenu la tentative de deux musulmans au Parlement pour interdire le roman, des manifestations de groupes islamistes se sont déroulées et répandues dans tout le sous-continent et en Asie du sud et même en Grande-Bretagne. A Londres, le directeur général du centre culturel islamique a qualifié Les Versets Sataniques comme « le livre le plus offensant, sale et insultant jamais écrit par un ennemi hostile à l’Islam ».

En Iran, l’Ayatollah Khomeyni et ses cadres fascistes autoritaires et cléricaux ont vu rouge et se sont saisis de l’occasion pour publier une « fatwa » ou sentence de mort. Les groupes musulmans du monde entier ont exigé non seulement le châtiment suprême pour M. Rushdie mais ont également déclaré que le roman devait être interdit comme « blasphématoire ». C’était déjà très grave. Mais la vraie menace contre les libertés civiles allait venir, non seulement des foules excitées composées surtout de jeunes barbus dans de lointains pays arabes, mais de la timidité des gouvernements occidentaux et autres institutions, et même avec la connivence des personnalités religieuses.

Les autorités canadiennes ont trouvé le moyen de complaire à la brutalité de Khomeyni simplement en imposant des taxes d’entrée sur les exemplaires imprimés du roman de Rushdie. En France, le cardinal Decourtray a enterré la hache de la guerre entre les sectes et il est apparu comme un sympathisant œcuménique et il a accusé : « Une fois encore, les croyants ont été offensés dans leur foi ». L’ambassadeur soviétique en Grande-Bretagne a semblé d’accord. Il en est ainsi de « l’athéisme officiel » ou de la croyance que l’URSS était, en quelque sorte, un modèle garantissant aux non-croyants un droit ferme, conséquent et significatif de critique de la religion. L’ambassadeur Léonid Zamyatine a choisi de ne pas s’attaquer aux fascistes cléricaux mais plutôt de critiquer M. Rushdie et ceux qui le défendaient, en disant que la publication de ce livre « montrait clairement la nécessité de respecter les traditions et les sentiments religieux ». A Rome, le journal officiel du Vatican déclarait en gros titre : « L’attachement même à notre propre foi nous incite à déplorer ce qui dans le contenu du livre est irrévérencieux et blasphématoire ».

Et ensuite il y a eu la réaction américaine. Nous avons un éditorialiste conservateur et ancien cadre politique du nom de Pat Buchanan qui défend de façon agressive la droite religieuse. Il a accusé Rushdie « d’écrire un roman diffamatoire, une attaque blasphématoire contre la foi de centaines de millions de gens… un acte de vandalisme moral de la part d’un délinquant artistique ».

Malgré la notoriété de Rushdie en tant qu’intellectuel progressiste, un athée qui s’exprime au nom de l’émancipation des femmes, de la liberté d’expression et des valeurs de la culture laïque, M. Rushdie s’est retrouvé en manque de sympathie et de soutien, même chez un grand nombre de secteurs de l’élite libérale américaine et européenne. Le silence était assourdissant. Si vous jetez un coup d’œil à la couverture des journaux de l’époque, vous remarquerez combien les campus universitaires étaient calmes. Il est aussi révélateur de voir la décision des principales chaînes de librairies de ne pas présenter ou vendre les exemplaires du roman de Rushdie. Une librairie qui avait ouvertement et courageusement mis en vente le livre a été incendiée par une bombe, tout comme les bureaux d’un petit hebdomadaire qui avait pris position en faveur de l’auteur contesté. Mais le chœur des occidentaux, y compris un grand nombre de dirigeants religieux qui ont condamné Rushdie et demandé que le livre soit censuré a continué à grossir. L’archevêque de Canterbury a déclaré une certaine sympathie pour les fanatiques musulmans fauteurs de manifestations violentes à travers la Grande-Bretagne, condamnant le livre tout en appelant au calme les islamistes offensés.

Pour être juste, certains groupes ont vraiment défendu avec courage M. Rushdie et condamné la « fatwa ». Mais pourtant l’incident Rushdie a amené la naissance d’un concept nouveau qui vise à ressusciter ce qui était considéré il y a peu comme une législation dépassée contre le blasphème. Et c’est cela qui menace les athées aujourd’hui, cette tendance qui cherche à flatter les sensibilités du public et les élites politiques sous la couverture innocente de la notion de « tolérance ». Le concept, c’est que l’Etat doit intervenir pour « protéger » les groupes religieux et autres contre les remarques « insultantes » ou déshonorantes. Cela va du « crime contre le tout-puissant » jusqu’à la notion politiquement correcte visant à soi-disant empêcher “le discours de la haine” ». Se moquer de la religion, que ce soit en passant par la plaisanterie ou avec une intention hostile, devient un crime d’opinion au même titre qu’un acte d’agression. Le fait que les croyants puissent être « insultés » ou « offensés » permet de condamner l’auteur ou le critique, alors que l’on laisse dans l’ombre les vérités plus profondes quant à la fausseté, l’absurdité ou même le danger causés par la religion en question.

Les dirigeants chrétiens ou juifs n’ont pas défendu M. Rushdie parce qu’il est préférable de défendre n’importe quelle religion que de permettre de critiquer l’une d’elles. Ils ont mis les chariots en cercle, pour reprendre une vielle expression de l’ouest américain. Ne peut-on pas tirer une leçon de cette histoire ? Si Rushdie avait écrit une histoire qui tournait en dérision un homme politique, vous n’auriez pas trouvé d’opposants de cet homme politique pour exiger que le livre soit interdit et que l’auteur soit voué aux gémonies. Rushdie avait attaqué la religion. La leçon est claire. Au siècle qui voit l’expansion de la laïcité, les religieux mettent de côté leurs différences doctrinales et exigent la protection de l’Etat sous couvert de « lois contre la haine » et d’autres législations du même genre.

Maintenant, à moins que vous ne pensiez que l’affaire Rushdie soit quelque peu dépassée en ce nouveau millénaire, songez qu’à l’heure où nous nous rencontrons aujourd’hui, la journaliste italienne Oriana Fallaci passe en jugement en Italie pour avoir fait des remarques dans un nouveau livre qui seraient censées être « manifestement offensantes envers l’Islam et les musulmans », ce qui est interdit dans le code criminel de l’Etat. Mme Fallaci a aussi été poursuivie en justice en 2004 par le chef de l’Union des musulmans italiens pour soi-disant – citation – « mensonge, offense et diffamation des musulmans dans le monde ». Et tout cela est rendu possible par le droit italien interdisant « l’outrage à la religion ». Heureusement, des voix s’élèvent, si ce n’est pas en défense de ce que Mme Fallaci a écrit au sujet de l’Islam, du moins pour défendre le droit d’exprimer ses opinions. L’International Herald Tribune a publié un éditorial le 9 juin de cette année : « Tout le monde ne sera pas d’accord avec Fallaci ou avec la façon dont elle exprime ses opinions, loin s’en faut. Mais le droit de faire des déclarations impopulaires ou intempestives, c’est la marque du sceau d’une société libre ». La rédaction du journal a ajouté que l’enjeu de l’affaire Fallaci « allait au-delà du sort d’un écrivain. Même en ces temps délétères », a dit la Tribune, « les hommes politiques et les juges occidentaux doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour indiquer clairement que la liberté d’expression n’est pas négociable. »

Vous n’avez pas besoin d’aller très loin dans les nouvelles archives ou sur Internet pour voir des preuves que des appels à des lois contre le « blasphème » se développent de manière choquante. En juin, la ville de Staphost en Hollande a approuvé une loi contre les jurons, citant le passage de l’Exode 29 : 7 de la Bible : « Tu ne prononceras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu ». Le New York Times a rapporté le 27 juin que même la Grande-Bretagne était en train d’examiner un projet de loi contre « l’incitation à la haine religieuse » qui irait de pair avec une loi contre l’incitation à la haine raciale. Et ici en France, ils rapportent que « la critique publique des groupes raciaux ou religieux est interdite conformément à l’image d’une nation laïque, homogène et libre de toutes les divisions sectaires ». Mais pour revenir à mon pays, les Etats-Unis, un projet bien plus grave a été avancé devant la législature de l’Etat de New York qui « établit le crime de ridiculiser une croyance ou des pratiques religieuses ce qui constitue une infraction de classe B ; dispose qu’une personne est coupable du crime quand dans un endroit public cette personne présente la divinité ou les croyances religieuses de n’importe quelle classe de gens sous un jour ridicule ou haineux ou présente les croyances religieuses d’une manière lascive, sacrilège, lubrique ou obscène ».

Heureusement, cette proposition n’a pas franchi le stade de la commission. Mais remarquez bien qu’il s’agit d’une chose importante. Les termes de cette législation semblent dirigés non pas tant contre les dieux ou le dieu (imaginaire) qui pourrait être offensés, mais parlent plutôt du « ridicule » et de « haine » des croyants religieux. En d’autres termes, le crime n’est pas contre « Dieu » – il s’agit de protéger les sensibilités et les sentiments des croyants. Et c’est en quoi c’est si dangereux et si séduisant par rapport aux efforts contemporains pour protéger et « ne pas offenser » les groupes religieux et les croyants. La liberté de parole qui est l’une des pierres angulaires des Lumières devient conditionnelle quand cela concerne les pratiques religieuses, les groupes religieux ou les sentiments religieux. Je peux traiter le président des Etats-Unis de toutes sortes de noms d’oiseaux. Je peux voir des traits d’humour et même des satires cuisantes dans les mass médias : c’est considéré comme un détail de la politique moderne. Mais si vous vous moquez, disons, des prêtres pédophiles ou du film sanglant de Mel Gibson « La passion du Christ », vous verrez des groupes comme la mal nommée Ligue Catholique pour les Droits Civiques hurler d’indignation. Je peux citer bien d’autres exemples que les affaires de Salman Rushdie et d’Oriana Fallaci. Taslima Nasrim me vient à l’esprit tout comme l’affaire du Dr. Younis Shaikh qui a passé un certain temps dans une prison pakistanaise sous l’inculpation de blasphème. Et en mai de cette année, le groupe de journalistes « Reporters sans frontière » a cité le climat alarmant d’un certain nombre de pays dans lesquels les écrivains ont été traînés devant les tribunaux pour avoir fait des remarques « blasphématoires » ou profanatrices. Et en Inde, plus de 640 personnes ont été accusées de blasphème depuis 1988. En Grande-Bretagne, le Premier ministre Tony Blair semble déterminé à faire un crime de cette soi-disant « haine religieuse ». Nos camarades britanniques peuvent probablement nous éclairer davantage au sujet de cette menace à venir que fait peser sur les libertés civiles la Commission gouvernementale « Pour l’Egalité et les Droits de l’Homme », un intitulé que le reporter Nick Cohen du journal l’Observer a fort justement décrit comme tellement « libéral et câlin ». Il a mis en garde ses lecteurs cependant dans un article d’opinion contre la législation sur le blasphème : « C’est seulement quand on en viendra dans les détails que la commission combattra tous ceux qui ont des préjugés contre le genre, la race, le handicap, l’orientation sexuelle, l’âge, la religion et la croyance ».

Or, comprenez-moi bien. La discrimination sur la base du genre, de la race, de la sexualité, de l’âge et d’autres facteurs est inadmissible, il n’y a pas de doute à ce sujet. Mais punir ceux qui ont des opinions athées ou anti-religieuses revient à créer le délit de « crime d’opinion ». C’est suffisamment dangereux, mais pourquoi devrions-nous suspendre la liberté d’expression pour simplement protéger les sensibilités de quelque groupe que ce soit, particulièrement les groupes religieux ?

Il y a une différence entre la remise en cause des idées et s’attaquer aux gens. Dire d’un groupe de gens qu’ils sont « sales, dégoûtants, mauvais » et des termes comme cela, c’est un discours de haine, bien que je ne pense pas qu’il faille le criminaliser. Et ni l’athée ni le théiste ne devrait se laisser aller à des attaques personnelles. Ce que le théiste veut que l’on protège, c’est la critique de ses idées. C’est une protection à laquelle nul ne peut avoir droit. Aucune idée n’est sacro-sainte. TOUTES les idées doivent être ouvertes à l’examen libre et public et à la remise en en cause, même celles de l’athéisme. Il est bon de noter que l’idée de protéger les groupes religieux de toute critique vient au milieu de deux idées qui se font de plus en plus écho aussi bien dans les médias laïques que des sectes religieuses, même sur les bancs des législateurs.

La première idée est la notion selon laquelle la religion est « attaquée » ou que les croyants sont « opprimés » par le gouvernement ou d’autres institutions civiles. Aux Etats-Unis, la droite religieuse montre du doigt toute décision de justice qui interdit l’exercice religieux obligatoire ou les manifestations religieuses impliquant l’Etat. Par exemple si des croyants ne peuvent pas faire une prière publique lors de l’annonce d’une compétition sportive scolaire, cela est cité comme la preuve que les droits religieux sont bafoués. Si une école publique n’autorise pas l’enseignement en classe du créationnisme ou de tout autre récit religieux des origines de l’Homme, des groupes protestent que c’est à la fois « injuste » et « discriminatoire » à l’égard de leur point de vue. La deuxième notion est la revendication selon laquelle il y a une catégorie de soi-disant « droits religieux » qui nécessitent une protection spéciale de la loi. Les Athées Américains se battent contre ce type de législation de « droits spéciaux » depuis des années, et c’est une bataille avec des avancées et des reculs. Nous avons un certain nombre de lois au niveau des Etats, connues sous le nom de lois de « protection de la liberté religieuse » et de « restauration de la liberté religieuse » qui exigent que l’administration prenne au plan légal des précautions exceptionnelles avant « d’enfreindre » l’exercice et les droits religieux. Il ne s’agit pas de la protection du citoyen ordinaire, comme notre Déclaration des Droits. Il ne s’agit pas de protéger l’entreprise privée. Il ne s’agit même pas de protéger l’administration ! C’est exclusivement pour la protection légale des Eglises, des mosquées, des temples et d’autres groupes religieux. En invalidant une version de cette législation, le juge John Paul Stevens de la Cour suprême des Etats-Unis a dit que la loi en question fournissait aux religieux un instrument légal, « ce qu’aucun athée ne pouvait faire ». En clair, c’est une discrimination en faveur de la religion.

Donc nous avons le chœur des voix stridentes qui insiste sur le fait que la « religion est attaquée », que les institutions religieuses ont un besoin urgent de protections spéciales et de privilèges, et que le pouvoir politique doit être utilisé pour préserver et étendre la portée de l’exercice religieux. La logique dicte la prochaine étape – la « protection » des groupes et des sentiments religieux contre toute forme de critique, de dérision, toute remise en cause. Et pourquoi pas, surtout si l’on accepte la proposition selon laquelle il existe bien des « droits religieux » spéciaux. Exprimer un point de vue contre la religion, même si les remarques sont faites dans des termes choisis ou dans le cadre universitaire, cela devient de plus en plus risqué. Je ne veux pas noircir le tableau. Non, au moins aux Etats-Unis, nous ne sommes pas sur le point d’instituer une législation sur le blasphème qui s’étendrait largement au plan national ou à celui des Etats… pas encore – mais si certains se laissaient aller…

Et l’intégrisme religieux arrive dans notre pays, s’il n’y est pas déjà. Le changement du paysage géopolitique, la mondialisation, les mouvements de population et le simple mouvement des gens nourrissent non seulement l’essor d’un Islam militant amis aussi la confrontation des points de vue. Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, nous vivons réellement ce que Samuel Huntington a décrit justement comme le « Choc des Civilisations ». Les groupes religieux se sont rués dans le vide politique créé par la faillite des Etats oligarchiques et des « nations effondrées ». Malgré le vernis de la mondialisation et la diffusion de certaines idées occidentales, les institutions et les idéologies religieuses jouent un rôle plus grand dans la politique internationale que ce que l’on pouvait imaginer il y a deux décennies.

Que faire donc de tout cela ?

L’avocat Eddie Tabash, adhérent des Athées Américains et quelqu’un qui s’est présenté au Congrès des Etats-Unis sous une étiquette ouvertement athée, a récemment écrit un essai sur notre site Internet qui posait la question : « To bash or not to bash » [« Critiquer ou ne pas critiquer, telle est la question »]. « Il n’y a pas de base rationnelle pour fournir spécialement aux dogmes religieux leur propre exemption de critique sévère » a-t-il écrit. « La religion est tellement enracinée dans notre société que ses partisans sont parvenus à imposer dans la culture populaire la notion selon laquelle la religion mérite toujours un traitement de faveur. » Et il poursuit : « Si nous permettons aux religieux de censurer les termes et les arguments que nous utilisons dans notre combat pour éduquer la société en faveur de la laïcité, c’est comme si nous laissions le renard garder le poulailler. Notre société ne sera jamais réceptive au message laïque aussi longtemps que la culture populaire considérera la critique de la religion comme une zone interdite… ».

Comment faisons-nous ?

Avant tout, soyons francs et sans détours sur ce que nous sommes. Je suis athée. Je dirige une organisation athée, et je suis fière du nom d’athée. L’un de nos acquis auquel je pense, c’est tout le travail que nous avons fait, en particulier au cours de la décennie écoulée, pour amener l’athéisme au sein de la culture politique américaine.

Vous savez, l’un des livres les plus importants que j’ai lu avait pour titre « La Foi en action » et ce livre était écrit par Ralph Reed, qui a travaillé pendant des années comme directeur de la Coalition Chrétienne en Amérique de Pat Robertson. Et l’une des choses que Reed n’arrêtait pas de répéter à l’envi, alors qu’il était en train d’organiser les conservateurs religieux dans une puissante machine politique, c’était comment les intégristes/évangélistes étaient sortis du placard qu’ils s’étaient imposés à eux-mêmes et qu’ils avaient commencé à conquérir le pouvoir politique. Eh bien nous avons besoin de sortir de nos placards, et nous devons commencer à penser à la participation politique directe, et nous devons faire cela ouvertement et sans crainte. Je peux vous dire qu’en Amérique, les athées – et encore une fois j’utilise ce terme qui inclut tous les différents « parfums » de non croyants – adorent faire des choses comme argumenter avec des chrétiens, tenir des débats, communiquer entre eux dans des groupes de discussion sur Internet, marquer des points contre les religieux sur des sujets pointus intellectuels ou historiques et se réunir entre amis. Cependant, ce que je propose c’est de faire un peu moins de tout cela et un peu plus d’organisation politique. Nous devons commencer à penser à gagner des élections et pas seulement à gagner des débats. Peut-être que tout le monde ici n’est pas athée, ou il se peut que vous utilisiez d’autres termes pour désigner l’athéisme. Mais quelque que soit la façon avec laquelle vous vous présentez, je pense que la leçon ici c’est d’être ouvert et fier de ce que vous êtes. Il y a trois ans, les Athées Américains ont organisé une action sans précédent, la Marche des Américains sans dieu, la GAMOW. Plus de 3 000 d’entre nous sont allés à Washington DC pour cette journée et nous avons ouvert notre tribune aux représentants d’un grand nombre d’organisations, y compris à ceux qui n’étaient pas toujours d’accord avec les autres non croyants. Nous avons mis de côté nos petites querelles ; et nous avons ouvert l’espoir de travailler à l’avenir ensemble sur la base du respect mutuel. Un des principaux résultats qui est sorti de la GAMOW a été le besoin pour les athées, les libres penseurs et les humanistes laïques et tous les autres groupes ou individus non croyants – quelle que soit la façon dont vous vous appelez – de ne pas se livrer à des attaques contre d’autres non croyants. Enterrer la hache de guerre. S’en tenir aux questions politiques et non aux personnes. Accepter le fait que, oui, nous avons et nous aurons des différences… des approches différentes, des « styles » différents, des cultures organisationnelles différentes. Mais nous avons bien plus en commun, et nous devrions envisager de travailler ensemble où et quand cela est possible sur une base ad hoc et de façon à nous concentrer sur des questions et des buts précis.

Une autre chose intéressante qui est sortie de la GAMOW a été le Comité d’Action Politique des Américains Sans Dieu, qui encourage et soutient les athées à se présenter à des élections et soutient des candidats qui s’intéressent à notre programme que ce soit au conseil d’école local, au plan de la législature d’Etat ou à Washington DC.

En conclusion, je voudrais vous faire part de l’importance qu’il y a à s’exprimer sans ambiguïté au nom de la liberté d’expression. Sans liberté de parole, nous n’avons aucune chance que ce soit de faire parvenir notre message à la société tout entière. Sans expression libre, nous n’avons pas la possibilité d’engager le fer contre les religions, remettre en cause leur message, leur programme, les prétentions de leurs croyances. Sans expression libre, nous ne pouvons pas proposer d’alternatives ; nous ne pouvons pas défendre et rendre hommage à ce qu’il y a de meilleur au sein de nos sociétés respectives. Nous devons défendre la liberté d’expression, sans exceptions !

Permettez-moi de terminer par une citation célèbre. Elle dit ceci : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ».

En général, on attribue cette citation à Voltaire, mais la plupart des érudits s’accordent pour dire que c’est une invention de C.S. Tallentyre, qui a rassemblé un volume des lettres du philosophe français.

La liberté de parole doit être défendue par l’action politique aussi bien que par la discussion universitaire.

Anne Humphreys

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