mercredi, juillet 16, 2008
L’auteur d’un livre sur l’esclavage en terre d’islam reçoit des menaces de mort, par Francis Chartrand
«Si jamais on lançait une fatwa contre moi, je m’empresserais d’aller à la télé et de leur dire : vous m’avez condamné à mort, mais vous n’êtes que des voyous, des criminels passibles du tribunal de La Haye. Vous n’êtes pas des musulmans mais des assassins, vous pouvez m’envoyer 10 commandos de tueurs si vous voulez, mais je ne me cacherai pas !»
Ces propos ont été recueillis par le correspondant de La Presse à Paris à qui Chebel accordait une entrevue en octobre dernier L’esclavage en terre d’Islam : un musulman libéral secoue le tabou, par Louis Robitaille, lien.
«Un dossier délicat», admet Chebel en parlant du sujet de son dernier livre. C’est pourquoi j’attends un peu avant de donner des conférences à Paris. «Mais à la différence de Pétré-Grenouilleau ou d’autres, c’est de l’intérieur que je critique les dérives de l’islam, les extrémismes et les sectarismes.»
Auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont Manifeste pour un Islam des Lumières paru en 2004, Chebel se veut à la fois un musulman irréprochable, fin connaisseur du Coran, et un libéral sans concession, partisan de la laïcité et hostile au porte du voile. Un adversaire résolu de «l’Islam politique» et de ses prétentions à «régenter la société». Avec cette nuance : «Contrairement à d’autres, j’ai le souci d’être audible et donc d’éviter les provocations inutiles : je prends donc soin de n’insulter personne.» Dans l’affaire des caricatures de Mahomet, il a surtout essayé de «calmer le jeu».
Mais cette fois-ci c’est le sujet même de son livre qui est tabou. Chebel dresse un constat sévère. L’esclavage dans le monde musulman, trois fois plus étalé dans le temps qu’en Occident, a aussi touché deux fois plus d’individus, soit 20 millions de personnes sur 10 siècles.
«Un esclavage discret et à peine atténué se perpétue aujourd’hui. Il y a des zones de non-droit absolu en Arabie Saoudite et dans certains pays du Golfe, par exemple. Au Niger ou au Mali, vous pouvez acheter - à l’unité - un enfant de 10 ans dont vous ferez ce que vous voudrez. Alors que les autorités religieuses en Occident ont fini par basculer dans le camp des abolitionnistes au XIXe siècle et aujourd’hui encore battent leur coulpe pour les crimes passés, je n’entends aucun prédicateur d’Al-Jazira condamner ces pratiques.»
Chebel fustige aussi les islamologues pour leur silence accâblant. Peut-être ont-ils préféré, écrit-il, «la hauteur mystique des grands penseurs, des philosophes et des théosophes de l’islam aux réalités scabreuses des marchands de chair humaine». Ils savaient, mais leur empathie pour l’islam les inclinait à trouver à cette religion et aux hommes qui s’en réclament des excuses qui ne sont en rien justifiées.
Ce qui révolte Malek Chebel «c’est que, plus ou moins explicitement, on invoque l’islam pour justifier l’asservissement. Or, sur les seuls 25 versets du Coran qui évoquent le sujet, presque tous penchent du côté de l’affranchissement. Strictement rien dans les textes ne justifie le système esclavagiste. Mais c’est ainsi : sous diverses formes, une coterie religieuse vénale, aux ordres des dictatures, conserve une emprise totale sur l’islam et son interprétation. Il y a 30 ou 40 ans encore, l’Islam des Lumières auquel je me réfère était en plein progrès, en Égypte notamment, et la démocratie était en vue. Aujourd’hui, on est en pleine régression : si l’on faisait aujourd’hui des élections libres dans le monde arabo-musulman, les islamistes l’emporteraient presque partout. Cela dit, je ne crois pas que ce soit irréversible : l’Égypte pourrait redevenir une terre des Lumières. Et il y a des frissonnements démocratiques au Maghreb ou ailleurs.»
Mohammed Ennaji - Esclavage, pouvoir et religion dans le monde arabe
Pour l’universitaire marocain Mohammed Ennaji, le pire est peut-être dans l’impact que l’esclavage a eu sur les mœurs politiques du monde arabe. Dans un livre tout récent, il explique en quoi l’esclavage a fondé le rapport au pouvoir et donc l’absolutisme qui est encore souvent la règle dans cette partie du monde.
Libellés : Francis Chartrand, Islam, Laïcité, Monde Arabe
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