Daniel Baril, conseiller au Mouvement laïque québécoisL’enfer, pour ceux qui y croient, est pavé de bonnes intentions, dit-on. Sur le plan théorique, l’idée d’un cours de culture religieuse est une bonne intention avec laquelle il paraît difficile, de prime abord, d’être en désaccord. Mais il suffit de jeter un coup d’œil au programme Éthique et culture religieuse pour constater que les objectifs du volet religieux relèvent du surréalisme et que les fondements prétendument non confessionnels ne sont en fait qu’une vision de l’esprit.
Rappelons l’objectif de ce volet : «amener les élèves à comprendre les diverses expressions [du phénomène religieux], à en saisir la complexité et à en percevoir les dimensions expérientielle, historique, doctrinale, morale, rituelle, littéraire, artistique, sociale ou politique. Le développement de la compétence […] suppose la capacité d’associer ces expressions à leur religion respective et de percevoir les liens qu’elles peuvent avoir avec divers éléments de l’environnement social et culturel d’ici et d’ailleurs.»
Rien de moins. N’oublions pas que ce cours se donne à des enfants qui viennent de quitter la maternelle. Comment peut-on raisonnablement penser qu’un tel objectif, qui est en fait un plan de carrière pour sociologue de la religion, peut être atteint chez des enfants de 6 ans ?
L’enseignant doit pour sa part «amener les élèves à apprendre à penser par eux-mêmes» et favoriser «le développement d’un sens critique qui aide les élèves à comprendre que toutes les opinions n’ont pas la même valeur». On ne peut ici qu’être d’accord. Mais, «pour ne pas influencer les élèves dans l’élaboration de leur point de vue, [l’enseignant] s’abstient de donner le sien». Comment va-t-il s’y prendre pour développer le sens critique s’il ne doit pas influencer l’élève? La démarche qui consiste à faire progresser le jugement de l’enfant par confrontation avec d’autres opinions ou avec les conséquences d’un point de vue a du sens en éthique mais est inapplicable à des contenus religieux. Comment développer le jugement critique face à des croyances qui relèvent de la foi? Le contenu du volet culture religieuse est tout simplement inapproprié à une telle démarche.
Des prières… culturelles !
L’aspect le plus révélateur de la vraie nature de ce cours réside dans les thèmes abordés. Voici quelques exemples tirés du programme du primaire. L’enseignant doit aborder des «récits marquants qui ont une grande influence». Ces récits sont, entre autres, ceux des Rois mages, du Déluge, de Nanabojo, de Glouskap et de la «révélation» à Mahomet. Viennent ensuite les récits de «personnages importants» (sic) : l’Annonciation, la naissance de Jésus, la naissance de Moïse, la naissance de Bouddha, la vie de David et du «géant Goliath».
Tous ces récits sont des récits mythologiques. Pour résoudre le supposé déficit de culture religieuse déploré par certains théologiens, on abreuvera donc les enfants de 6 ans à 12 ans de la somme des mythologies de l’humanité.
Le cours aborde aussi les pratiques religieuses afin de «faire découvrir» leurs caractéristiques : la messe, la première communion, la confirmation, le culte du dimanche, la consécration des enfants, la prière du vendredi, le shabbat, les postures de prière, la contemplation, les objets rituels, le chapelet, le moulin à prières, le Notre Père, la lecture de la Bible, les chants incantatoires, et la liste est encore longue.
Comment va-t-on parler de façon culturelle de ces pratiques confessionnelles ? Les enfants à qui l’on présente ces contenus religieux ne font et ne peuvent faire de différence entre une approche confessionnelle de la religion et une approche culturelle. Cette distinction n’existe que sur papier et devient une vision de l’esprit dans la classe. Alors que l’approche confessionnelle consistait à dire, par exemple, «Jésus est ressuscité à Pâques», l’approche culturelle consistera à dire «les chrétiens fêtent la résurrection de Jésus à Pâques». Le message est le même et l’approche ne changera rien à la signification qu’un enfant de six ans accordera aux croyances religieuses qui lui seront présentées.
Ramener les brebis égarées
Quelle place auront les enfants que les parents préféraient inscrire en formation morale afin de leur éviter ce type d’endoctrinement religieux ? Ils seront noyés dans la majorité croyante et pratiquante et auront tôt fait de rallier ses rangs.
Même si le programme mentionne que «les expressions culturelles et celles issues de représentations du monde et de l’être humain qui définissent le sens et la valeur de l’expérience humaine en dehors des croyances et des adhésions religieuses sont abordées», rien, absolument rien de tel ne subsiste dans le programme au-delà de cette puritaine périphrase qui vise à éviter les mots humanisme et athéisme.
Non seulement ce cours glorifie les religions et tombe ainsi dans le révisionnisme historique, mais chaque occasion où une vision naturaliste ou scientifique de la vie aurait pu être abordée est ratée. C’est le cas notamment avec le thème des représentations de l’origine du monde : on présente le «récit de la Création», le AUM, la tortue amérindienne, le yin et le yang, mais pas un mot sur ce que dit la science ou ce qu’en pensent les athées.
Ce cours marque ainsi le virage multiconfessionnel de l’école québécoise. Au lieu d’avoir un enseignement religieux séparé selon les confessions, on place tout dans le même cours, on retire la dénomination religieuse de l’école, on décrète que l’approche est culturelle et le tour est joué. C’est sur ce fond multiconfessionnel que prendra appui le second volet du cours, soit le volet éthique. Un tel amalgame entre religion et éthique est inacceptable ; on laisse ainsi entendre que le comportement éthique ne peut être développé qu’en lien avec une croyance religieuse et qu'une personne sans religion est par conséquent amorale ou immorale.
Bien que ceci pourrait se justifier, nous ne croyons pas qu’un retour à l’exemption serait souhaitable. Afin d’éviter que les acquis des 30 dernières années en matière de respect de la liberté de conscience et de religion ne soient perdus, la seule solution viable est de retirer le volet culture religieuse tout en maintenant le volet éthique auquel pourraient s’ajouter des contenus de philosophie pour enfant. La culture religieuse pourrait néanmoins être offerte à titre optionnel au deuxième cycle de secondaire alors que les jeunes ont acquis un minimum d’esprit critique à l’égard des contenus religieux.
Nous croyons qu’un tel aménagement pourrait rallier positivement l’ensemble de la population québécoise et éviter l’impasse dans laquelle les contestations juridiques risquent de conduire.