jeudi, décembre 11, 2008

 

L’ONU sur la voie de l’échec, par Francis Chartrand


Tribune - Reporters sans frontières

L’idée était pourtant extraordinaire et si généreuse. Demander au concert des nations, à l’assemblée des Etats de ce monde, de signer ensemble un texte fondateur : la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’un de ses principaux artisans, le juriste français René Cassin, s’est battu en 1948 pour que cette déclaration soit «universelle» et pas seulement «internationale». Il faisait partie de ceux qui, comme nous, pensent que les souffrances des victimes sont les mêmes partout et qu’un Africain ou un Asiatique a autant qu’un Européen le droit de ne pas être torturé.

Mais, soixante ans plus tard, ce principe d’universalité est dénié à leurs citoyens par bon nombre d’Etats. En Asie notamment, il n’est pas rare d’entendre de hauts dignitaires vanter les mérites de leur conception «relativiste» des droits de l’homme. Ils préfèrent, expliquent-ils, privilégier le bien-être de la «communauté» alors que, nous autres, en Europe, ne nous soucions que de l’individu. Un journaliste, un opposant politique, un syndicaliste emprisonné ou battu ? Non, il n’y a là aucune violation des droits de l’homme. Il s’agit simplement de sauvegarder l’ordre public et de préserver la tranquillité des citoyens «responsables»...

C’est un raisonnement inacceptable, c’est une fourberie. Surtout lorsque l’on sait que, parmi les rédacteurs de la Déclaration universelle, se trouvaient, en plus des juristes européens, un diplomate libanais, un Chilien et même un Chinois, Peng-chun Chang, universitaire et ambassadeur de la jeune nation en pleine guerre civile.

C’est à Genève que l’échec des Nations unies est le plus flagrant. Le système onusien, qui permet aux Etats d’être juges et parties, est schizophrène. En 2003, la Commission des droits de l’homme s’est totalement discréditée en plaçant à sa tête la représentante de la Libye. Face au tollé général, elle s’est autodissoute quelque temps plus tard, faisant place au Conseil des droits de l’homme.

Mais la nouvelle sentinelle de l’ONU a rapidement refroidit les espoirs placés en lui. Lors de la composition du premier Conseil, en mai 2006, ont été élus des pays pour qui la détention arbitraire, l’impunité, la torture, la peine de mort, bref la privation des droits fondamentaux semblent être le tissu même de la société. L’ONU a ainsi officiellement chargé l’Algérie, l’Arabie saoudite, l’Azerbaïdjan, le Bangladesh, la Chine, Cuba, le Nigeria, le Pakistan et la Russie de défendre ardemment la Déclaration universelle des droits de l’homme. A peine mise en place, la machine a commencé à gripper.

La suite a été tout aussi réjouissante. En moins de deux ans, le Conseil a mis fin au mandat des experts indépendants - les seuls responsables de l’ONU qui échappent aux diktats d’un gouvernement - chargés de surveiller la situation à Cuba, au Bélarus et même en République démocratique du Congo, dont le flot récent de réfugiés et les tueries dans l’est du pays témoignent, en effet, d’un indéniable respect de la dignité humaine. Ce même Conseil a également refusé de nommer un expert pour le Turkménistan qui est, comme chacun sait, l’un des pays les plus ouverts et tolérants de la planète.

Pendant que certains font preuve d’un cynisme éhonté, la Chine, l’Ouzbékistan et la Russie, entre autres, manœuvrent en coulisse et passent des accords pour s’assurer qu’une majorité s’oppose à toute résolution à leur encontre. Et ça marche ! Les votes ne se font pas selon la gravité de la situation dans un Etat, mais au prorata des bénéfices éventuels que cet Etat ou ses alliés peuvent apporter en retour. A ce petit jeu, la Chine rafle toutes les mises. Usant de sa formidable puissance économique, elle s’assure systématiquement le soutien des pays dont elle arrose généreusement les gouvernements en prêts, subventions ou autres accords de coopération. La plupart des pays d’Afrique et beaucoup en Asie prennent leur consigne de vote dans le bureau genevois du représentant permanent de l’Empire du Milieu.

Conçu pour défendre l’universalité des valeurs, le Conseil des droits de l’homme s’est perdu en chemin. Il est utilisé malgré lui pour servir les intérêts des gouvernements qui ne veulent pas voir leurs noms épinglés à la liste noire des pires violateurs des droits de l’homme. Reporters sans frontières considère qu’il est de l’impérieuse responsabilité du secrétaire général des Nations unies de mettre un terme à cette imposture. La première mesure pourrait consister, par exemple, à fixer des critères d’éligibilité des Etats membres du Conseil, basés sur leur respect des droits de l’homme, leur adhésion aux principaux traités internationaux et leur application. Tous les problèmes ne seraient pas résolus pour autant, mais cela aurait au moins le mérite d’empêcher quelques tyrans sanguinaires de parader à la tribune.

Jean-François Julliard Secrétaire général Reporters sans frontières International

et

François Bugingo Président Reporters sans frontières Canada

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