lundi, août 31, 2009
Le cours ECR, école de l'unanimisme politiquement correct, par Francis Chartrand
Il fut une époque où chez les progressistes différer d'opinion, être un dissident, était la plus haute forme de patriotisme. La formule, faussement attribuée à Jefferson, est d'Howard Zinn, historien anarchiste de gauche. Elle fit son apparition quand la gauche américaine cherchait à dénoncer la guerre contre le terrorisme.
Cette liberté de pensée, cet esprit frondeur étaient encouragés non seulement en politique, mais également dans le domaine religieux, des mœurs et des valeurs. Dissidence parfois bien agressive ou de mauvais goût, mais c'est cela la démocratie, non ?
Mais voilà, quand les « progressistes » qui se disent pluralistes ont le pouvoir, comme c'est le cas dans le petit monde des experts en éducation québécois, il faut désormais apprendre à s'ouvrir et à pratiquer le consensus. Plus d'éloges de la contestation, du cynisme, du dissensus, non, non. Cela serait montrer un esprit borné et peu ouvert sur les autres, leurs religions, leur athéisme, leurs valeurs morales, sexuelles, leurs orientations sexuelles, leurs préjugés politiques et sociaux. Bref, manquer d'ouverture aux valeurs de ces mêmes progressistes.
Un rapport récemment publié par le Comité d'analyse du Programme de formation de l'école québécoise (une émanation du MELS) se félicitait même de ce formatage : les enfants de la réforme pédagogique sont peu autonomes, médiocres en français, ne parviennent pas à se concentrer lors d'un cours magistral, mais ils sont « ouverts », « citoyens du monde » et travaillent bien en équipe.
On a donc privilégié la rééducation dans le domaine du comportement aux dépens de l'instruction des faits et des connaissances.
Cette rééducation, cet esprit unanimiste sont également encouragés dans le programme d'éthique et de culture religieuse.
Vous devez tous être d'accord
C'est ainsi que l'on retrouve dans les manuels et cahiers ECR, des exercices qui visent à apprendre aux élèves à s'ouvrir aux autres et à parvenir à des consensus au sein d'un groupe.
Premier exemple tiré d'un manuel du primaire : un groupe de personnes à asseoir dans un autobus de la manière la « plus juste » possible. Sont debout : une femme enceinte (ne pas l'asseoir serait machiste), une femme basanée et voilée (ne pas l'asseoir serait raciste), une femme agée (machiste, âgiste ?), un homme blanc veston-cravate (victime qui ne présente pas de risque). On demande ensuite au jeune élève que « Tous les membres de ton équipe doivent être d’accord avec les choix. Attention, à la fin de l’exercice, vous devrez les justifier. »
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Partager en groupe et dans le consensus Israël et la Palestine
Autre exemple d'exercice, au secondaire cette fois, dans le cahier Dialogues II des éditions de la Pensée pour la secondaire V, il s'agit cette fois-ci d'établir un plan de partage juste de la Palestine grâce au dialogue pour aboutir à un consensus.
On est pantois devant tant d'irénisme béat : que compte-t-on apprendre ainsi aux élèves ? Que les adultes qui ne s'entendent pas et n'arrivent pas à un partage juste par le consensus et le dialogue ont vraiment été mal éduqués ? Ah ! Si seulement ils avaient eu le cours d'ECR ! Que se passera-t-il en classe si, grâce au métissage croissant du Québec, on trouve un juif et un arabe ? Espère-t-on vraiment qu'ils arrivent honnêtement à un consensus ?
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Et pourtant l'objectivité n'existerait pas ?
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Ce qui est le plus étonnant c'est que le même cahier (illustration ci-dessus) semble admettre, dans les solutions proposées et mentionnées à l'enseignant, que l'objectivité n'existerait pas ! Mais attention, nous dit le gouvernement, le programme ECR n'est en rien relativiste et il est donné de manière objective et neutre.
Cet aveu que l'objectivité est sans doute inatteignable laisse sous-entendre que certaines solutions sont inextricables.
À quoi bon alors tenter de résoudre équitablement une situation comme le partage de la Palestine par le dialogue et le consensus ? Pour montrer l'inanité du projet ?
La délibération
Il ne faut pas croire que ces deux activités sont le fruit du hasard. Elles respectent scrupuleusement le programme qui impose que l'enfant soit familiarisé à chaque cycle de sa formation avec la délibération.
Or qu'est-ce que la délibération pour le Monopole de l'Éducation ?
C'est une forme de « dialogue ». C'est « l'examen avec d’autres personnes des différents aspects d’une question (des faits, des intérêts en jeu, des normes et des valeurs, des conséquences probables d’une décision, etc.) pour en arriver à une décision commune. » (voir Formes du dialogue et définition et quasi tous les glossaires des manuels, par exemple celui des éditions Grand Duc, pour le secondaire IV, page 260).
L'indifférence traquée
Et ne croyez pas que l'enfant pourra se réfugier dans l'indifférence lors de telles activités. Car nous savons tous à quoi mène l'indifférence...au nazisme. Les éditions Grand Duc publient ainsi (p. 13, manuel secondaire IV) de manière très prévisible le poème de Martin Niemöller :
« Lorsque les nazis sont venus chercher les communistes Je me suis tu, je n’étais pas communiste. »
Il faut s'engager, avoir son opinion politiquement correcte sur tout.
Une démarche hautement intrusive
L’élève n’est pas seulement appelé à donner son avis ; il doit aussi porter un jugement normatif sur les croyances des autres.
« Il nomme des comportements ou des attitudes qui contribuent ou nuisent à la vie de groupe. Il reconnaît ses besoins et nomme ses responsabilités à l’égard des autres. Il considère certaines options ou actions possibles et en reconnaît des effets sur lui et sur les autres. Il privilégie des actions favorisant la vie de groupe en fonction du vivre-ensemble. Il fait des liens avec d’autres situations similaires. Il fait un retour sur ses apprentissages et sur sa démarche. »
(Programme du primaire p. 297)
Comme le relevait le philosophe français, David Mascré, au sujet du programme ECR, « L’enfant est donc sollicité pour porter un jugement normatif sur les autres. Progressivement, mais sûrement, il est appelé à dénoncer pour le bien de la cause tous ceux qui, parmi ses proches (petits camarades, frères et sœurs ou parents) pourraient développer des croyances ou des pratiques religieuses non conformes au système de valeurs promu par les tenants de la religion de la démocratie. Il est sommé de mettre en avant ce qui dans la croyance de ces proches – et, ce qui est plus risible et plus conditionnant encore – est nuisible de son petit point de vue d’enfant de huit ans à la vie de groupe. »
Non content de sommer l’enfant de dénoncer ses camarades en repérant ce qui dans leurs croyances pourrait être contraire au respect de l’autre ou à la facilitation de la vie en commun, le texte lui demande en outre de porter un jugement normatif sur le fonds même de ses croyances en dénonçant ce qui en elle relève du stéréotype ou du préjugé. L’enfant est ainsi requis de :
« cerner des causes et des effets des préjugés et des stéréotypes présents dans la situation. »
(Programme du primaire p. 298)
Ce n’est plus l’enseignant lui-même, il est « neutre », c’est désormais l’enfant qui est sommé d’assumer la fonction d'inquisiteur et de condamner à la question le camarade qui aurait l’audace ou l’outrecuidance de continuer à professer des croyances incompatibles avec les valeurs du temps présent.
Respect absolu des opinions « ouvertes sur la diversité »
Le programme officiel et le livre de l'apologiste devant les tribunaux de l'imposition du cours ECR, Georges Leroux, nous rappellent que les enfants doivent apprendre à avoir un respect absolu des opinions exprimées des autres, pour autant que celles soient ouvertes sur le monde et la diversité. Deux mots codés signifiant pluralistes, progressistes et en faveur non pas de toutes les diversités, mais celles valorisées par ces mêmes pluralistes progressistes, à savoir la diversité ethnique (et s'il le faut alors la diversité religieuse, bien que certains « laïcs » n'acceptent pas forcement la valorisation de cette diversité-là), la diversité des formes familiales (p. ex. la famille homoparentale) et des comportements sexuels. Paradoxalement, ceux qui font appel à cette diversité rejettent habituellement des points de vue trop divers sur certains sujets qu'ils décrèteront « rétrogrades » et non acceptables.
À la page 41 de son expertise déposée aux procès de Drummondville et Loyola (c'est la même), Georges Leroux affirme : « À ce titre, les élèves sont invités à développer des attitudes de respect absolu, de dialogue interprétatif (comprendre la signification des croyances ou de l'incroyance). »
À mettre en parallèle avec cette attitude demandée des élèves dans le programme, mais que l'État se garde bien de pratiquer avec les opposants au cours ECR (surtout pas plusieurs cours de religion, ni des exemptions) :
« amener les élèves à participer à la vie démocratique de l’école ou de la classe [!??] et à adopter des attitudes d’ouverture sur le monde et de respect de la diversité »
(Programme du primaire, p. 284)
« Manifester de l’ouverture et du respect à l’égard de ce qui est exprimé. »
Des formes du dialogue et des conditions favorables
Indications pédagogiques
Respecter les personnes, oui nous sommes d'accord, mais respecter ce qui est exprimé, même l'erreur, même ce qui va à l'encontre de ce qu'on croit vrai et sacré ?
Débusquer les manifestations non verbales de réticence
Cette recherche du dialogue forcé, ce rejet de l'indifférence ou la désapprobation envers ce qui est socialement acceptable par le groupe apparaît dans de nombreuses injonctions faites aux enfants ou aux enseignants :
« Être attentif à ses manifestations non verbales de communication et à celles des autres. »
(Programme du primaire page 283)
« Se soucier de l’autre et prendre en considération ses sentiments, ses perceptions ou ses idées. »
[source]
« Dans leurs interactions, verbales ou non verbales, il importe qu'ils [les élèves] s'exercent progressivement à écouter l'autre de manière attentive. »
[source]
L’enfant est désormais enjoint non seulement de critiquer les idées des autres quand elles ne sont pas conformes au vivre-ensemble, mais aussi de sonder leurs arrière-pensées. Ordre lui est donné de prêter attention aux manifestations non verbales de communication de ses petits camarades. Un silence désapprobateur, un regard fuyant, une attitude de mutisme seront autant de signes d’adhésion faible ou pire de désapprobation potentielle, et jugés comme tels. L’enfant dissident n’aura même plus la possibilité ou le droit de se réfugier dans l’intimité de son for intérieur ou de s’évader dans l’imagination du merveilleux puisque les signes mêmes de repli sur l’intériorité ou un monde extérieur au monde politiquement correct seront examinés, suivis, interprétés et traqués comme tel.
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Libellés : Francis Chartrand, Québec, Religion et fanatisme
Mais, Francis, tu avais la solution, la laïcité.
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