vendredi, mars 05, 2010

 

Sur la ligne de feu, par Louis Préfontaine


« Je vais te faire perdre ton emploi ». Un autre contrôle manqué par l'enfant, une autre ronde de menaces téléphoniques de la part de la mère. Tania écope. Encore. Quand on enseigne dans des classes d'intégration pour immigrants, il faut savoir la seule chose véritablement utile: l'autre a toujours raison. Pas toi, pas ton pays, pas tes règles de sécurité, ta laïcité, ton égalité homme-femme. Non. Tout ça prend le bord quand on fait affaire avec une minorité d'intégristes qui, à l'image de cette fanatique refusant les règles de son école, cherchent à miner le fondement de notre État de droit tout en s'affairant à rendre la vie insupportable à ceux et celles qui essaient les aider.

Tania n'a enseigné qu'une seule année à cette école primaire du nord-est de la ville, spécialisée dans l'intégration des nouveaux arrivants. Elle aurait pu continuer, mais c'était trop difficile émotionnellement. Pire: on lui a fait couler son évaluation, avec une note de zéro sur cinq au niveau de l'éthique et des accusations de racisme de la part du directeur et de son assistante. Son crime? Avoir voulu donner des cours de géographie à une enfant, avoir fait part de ses échecs à ses parents et lui avoir demandé de chausser des espadrilles au cours d'éducation physique.

« Toronto, c'est au Liban, mon papa me l'a dit, non non non tu es une menteuse! » lançait la jeune fille voilée de onze ans à sa professeure, en pleine classe. Tania lui montra la carte mondiale, lui pointa Toronto, puis le Liban. « Non, ce n'est pas au Liban, Toronto. Ton père s'est peut-être trompé ». Non, Tania, son père ne s'est pas trompé. Papa-musulman a toujours raison. Tu devrais le savoir. Et c'est pourquoi, le lendemain, il est débarqué dans ta classe, sur l'heure du midi, en violation des règles les plus élémentaires de l'école, pour t'insulter, te traiter de raciste, t'invectiver et te menacer.

Peu de temps après cela, un voyage au Liban de huit semaines pour la petite fille. Lorsqu'elle est revenue, elle a pris beaucoup de retard, si bien que ses résultats n'étaient pas à la hauteur de ses camarades de classe. Rencontre avec les parents et le directeur. Le diagnostic? Non, la petite n'a pas de retard, non elle n'a rien à apprendre. C'est toi, Tania, la raciste, la méchante féministe qui veut apprendre des idées de libération de la femme à son enfant, dixit une mère hystérique, une Canadienne d'Halifax convertie aux vertus de la soumission au mari et du voile corporel. Le directeur te demande de sortir, et plus rien ne sera jamais pareil entre toi et lui par la suite. Sa confiance, tu l'avais perdue.

Les mois passèrent, accompagnés des insultes bi-hebdomadaires suivant inexorablement chaque test, chaque échec d'une petite fille à qui on a appris que le monde est ce que Papa-musulman dit qu'il est. Un jour, la professeure d'éducation physique appela Tania et lui dit, à propos de l'enfant: « elle ne veut pas enlever ses bottes, car elle dit qu'il est mal qu'on puisse voir ses chevilles ». Tania rassura la petite fille, lui expliqua qu'Allah ne la punirait pas, qu'elle devait simplement mettre ses souliers de course et s'amuser avec ses amis. Elle finit par la convaincre, mais à quel prix? Le lendemain, elle est de nouveau convoquée au bureau du directeur, où elle se fait de nouveau insulter, où son propre supérieur lui dit qu'elle aurait dû accepter que la fille participe aux activités en bas (ce qui est pourtant extrêmement dangereux et contraire au règlement). Textuellement, il lui a dit ceci: « entre les règles de l'école et les règles de la religion de monsieur, ce sont les règles de religion de monsieur qui doivent primer ». Et c'est ce qui se produisit par la suite, merci aux menaces de poursuites répétées de la part du triste individu.

Combien de dictées t'a-t-on renvoyées avec un gros « X », Tania, parce qu'elles faisaient référence à Noël ou à Pâques? Combien de fois as-tu dû t'adapter pour simplement survivre, ici, dans ton propre pays, là où tu devrais précisément servir d'exemple aux nouveaux arrivants?

À la fin de l'année, plutôt que d'avoir pris la défense de sa professeure, le directeur et son assistante, une Libanaise d'origine, ont décidé de se débarrasser d'elle du mieux qu'ils le pouvaient. À l'école des immigrants, Tania, pourtant elle-même fille d'une immigrante italienne, n'avait pas compris la leçon de base: au Québec, ce sont les immigrants qui font la loi, et nos règles ne s'appliquent qu'à ceux qui sont assez malchanceux pour être blancs et francophones. Les autres, ils sortent l'insulte du racisme, ils en appellent aux vertus du multiculturalisme, ils appellent leurs avocats, ils se basent sur la Charte des droits et libertés pour nous imposer LEURS droits et LEURS libertés.

Pourtant, «il y en a, il y en a tellement des gens gentils, explique Tania. Je trouve ça plate, parce qu'à chaque fois où on en parle c'est à propos d'histoires complètement débiles. Des madames gentilles qui t'envoient des baklavas, ça on ne s'en souvient pas ». Le problème, il est précisément là: des gens gentils et des gens méchants, confus, violents, psychotiques, existent dans chaque culture, dans chaque peuple. Au Québec, cependant, il suffit qu'un de ces énergumènes utilise sont statut ethnique pour qu'on lui confère immédiatement un semblant de crédibilité. Si tu es blanc et francophone et que tu agis de la sorte, on va te foutre dehors de l'école, appeler la police, appeler la DPJ, t'emmener au poste et te poursuivre. Si tu viens d'ailleurs, on va te laisse faire au nom du multiculturalisme, au nom de l'accommodement raisonnable, au nom de la bonne entente.

Qu'on le veuille ou non, c'est une guerre. Une lutte entre nos valeurs, nos conceptions de l'espace public et des libertés, et celles d'individus sans scrupules qui croient pouvoir utiliser notre ouverture contre nous-mêmes, qui enfoncent nos portes ouvertes et occupent ensuite nos maisons. Et dans cette guerre, sur ce front, se trouvent des gens comme Tania qui, si elle a laissé tomber l'enseignement aux enfants, continue néanmoins d'apprendre notre langue et notre culture aux immigrants adultes et participe, en se prenant des balles de haine à chaque jour, à améliorer notre société et à favoriser une plus grande cohésion, dans le respect de nos valeurs communes. Tania est une héroïne à sa façon, dans les tranchées du multiculturalisme, l'arme de notre insouciance à la main.

Et si on se décidait enfin à l'appuyer, à respecter ceux et celles qui, comme elle, travaillent à l'intégration des immigrants? Si on affirmait enfin, haut et fort, que nos valeurs et notre culture ne sont pas négociables, que notre loi s'applique à tous et que nous n'avons pas à subir les affronts de ceux qui les refusent? Si on osait exiger des nouveaux arrivants le respect de nos institutions et de ceux et celles qui oeuvrent à les aider à se réaliser dans notre maison à tous les jours?

Car si nous n'agissons pas au niveau de l'intégration en osant imposer nos valeurs, il va falloir agir au niveau du nombre d'immigrants à recevoir. Et ça, c'est un tout autre débat. Nécessaire, mais ô combien plus difficile à assumer pour les apôtres d'un multiculturalisme ayant accumulé les échecs comme les Québécois les médailles aux derniers Jeux Olympiques. D'ici là, merci Tania, et bon courage.

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