vendredi, mars 05, 2010
Sur la ligne de feu, par Louis Préfontaine

« Je vais te faire perdre ton emploi ». Un autre contrôle manqué par l'enfant, une autre ronde de menaces téléphoniques de la part de la mère. Tania écope. Encore. Quand on enseigne dans des classes d'intégration pour immigrants, il faut savoir la seule chose véritablement utile: l'autre a toujours raison. Pas toi, pas ton pays, pas tes règles de sécurité, ta laïcité, ton égalité homme-femme. Non. Tout ça prend le bord quand on fait affaire avec une minorité d'intégristes qui, à l'image de cette fanatique refusant les règles de son école, cherchent à miner le fondement de notre État de droit tout en s'affairant à rendre la vie insupportable à ceux et celles qui essaient les aider.
Tania n'a enseigné qu'une seule année à cette école primaire du nord-est de la ville, spécialisée dans l'intégration des nouveaux arrivants. Elle aurait pu continuer, mais c'était trop difficile émotionnellement. Pire: on lui a fait couler son évaluation, avec une note de zéro sur cinq au niveau de l'éthique et des accusations de racisme de la part du directeur et de son assistante. Son crime? Avoir voulu donner des cours de géographie à une enfant, avoir fait part de ses échecs à ses parents et lui avoir demandé de chausser des espadrilles au cours d'éducation physique.
« Toronto, c'est au Liban, mon papa me l'a dit, non non non tu es une menteuse! » lançait la jeune fille voilée de onze ans à sa professeure, en pleine classe. Tania lui montra la carte mondiale, lui pointa Toronto, puis le Liban. « Non, ce n'est pas au Liban, Toronto. Ton père s'est peut-être trompé ». Non, Tania, son père ne s'est pas trompé. Papa-musulman a toujours raison. Tu devrais le savoir. Et c'est pourquoi, le lendemain, il est débarqué dans ta classe, sur l'heure du midi, en violation des règles les plus élémentaires de l'école, pour t'insulter, te traiter de raciste, t'invectiver et te menacer.
Peu de temps après cela, un voyage au Liban de huit semaines pour la petite fille. Lorsqu'elle est revenue, elle a pris beaucoup de retard, si bien que ses résultats n'étaient pas à la hauteur de ses camarades de classe. Rencontre avec les parents et le directeur. Le diagnostic? Non, la petite n'a pas de retard, non elle n'a rien à apprendre. C'est toi, Tania, la raciste, la méchante féministe qui veut apprendre des idées de libération de la femme à son enfant, dixit une mère hystérique, une Canadienne d'Halifax convertie aux vertus de la soumission au mari et du voile corporel. Le directeur te demande de sortir, et plus rien ne sera jamais pareil entre toi et lui par la suite. Sa confiance, tu l'avais perdue.
Les mois passèrent, accompagnés des insultes bi-hebdomadaires suivant inexorablement chaque test, chaque échec d'une petite fille à qui on a appris que le monde est ce que Papa-musulman dit qu'il est. Un jour, la professeure d'éducation physique appela Tania et lui dit, à propos de l'enfant: « elle ne veut pas enlever ses bottes, car elle dit qu'il est mal qu'on puisse voir ses chevilles ». Tania rassura la petite fille, lui expliqua qu'Allah ne la punirait pas, qu'elle devait simplement mettre ses souliers de course et s'amuser avec ses amis. Elle finit par la convaincre, mais à quel prix? Le lendemain, elle est de nouveau convoquée au bureau du directeur, où elle se fait de nouveau insulter, où son propre supérieur lui dit qu'elle aurait dû accepter que la fille participe aux activités en bas (ce qui est pourtant extrêmement dangereux et contraire au règlement). Textuellement, il lui a dit ceci: « entre les règles de l'école et les règles de la religion de monsieur, ce sont les règles de religion de monsieur qui doivent primer ». Et c'est ce qui se produisit par la suite, merci aux menaces de poursuites répétées de la part du triste individu.
Combien de dictées t'a-t-on renvoyées avec un gros « X », Tania, parce qu'elles faisaient référence à Noël ou à Pâques? Combien de fois as-tu dû t'adapter pour simplement survivre, ici, dans ton propre pays, là où tu devrais précisément servir d'exemple aux nouveaux arrivants?
À la fin de l'année, plutôt que d'avoir pris la défense de sa professeure, le directeur et son assistante, une Libanaise d'origine, ont décidé de se débarrasser d'elle du mieux qu'ils le pouvaient. À l'école des immigrants, Tania, pourtant elle-même fille d'une immigrante italienne, n'avait pas compris la leçon de base: au Québec, ce sont les immigrants qui font la loi, et nos règles ne s'appliquent qu'à ceux qui sont assez malchanceux pour être blancs et francophones. Les autres, ils sortent l'insulte du racisme, ils en appellent aux vertus du multiculturalisme, ils appellent leurs avocats, ils se basent sur la Charte des droits et libertés pour nous imposer LEURS droits et LEURS libertés.
Pourtant, «il y en a, il y en a tellement des gens gentils, explique Tania. Je trouve ça plate, parce qu'à chaque fois où on en parle c'est à propos d'histoires complètement débiles. Des madames gentilles qui t'envoient des baklavas, ça on ne s'en souvient pas ». Le problème, il est précisément là: des gens gentils et des gens méchants, confus, violents, psychotiques, existent dans chaque culture, dans chaque peuple. Au Québec, cependant, il suffit qu'un de ces énergumènes utilise sont statut ethnique pour qu'on lui confère immédiatement un semblant de crédibilité. Si tu es blanc et francophone et que tu agis de la sorte, on va te foutre dehors de l'école, appeler la police, appeler la DPJ, t'emmener au poste et te poursuivre. Si tu viens d'ailleurs, on va te laisse faire au nom du multiculturalisme, au nom de l'accommodement raisonnable, au nom de la bonne entente.
Qu'on le veuille ou non, c'est une guerre. Une lutte entre nos valeurs, nos conceptions de l'espace public et des libertés, et celles d'individus sans scrupules qui croient pouvoir utiliser notre ouverture contre nous-mêmes, qui enfoncent nos portes ouvertes et occupent ensuite nos maisons. Et dans cette guerre, sur ce front, se trouvent des gens comme Tania qui, si elle a laissé tomber l'enseignement aux enfants, continue néanmoins d'apprendre notre langue et notre culture aux immigrants adultes et participe, en se prenant des balles de haine à chaque jour, à améliorer notre société et à favoriser une plus grande cohésion, dans le respect de nos valeurs communes. Tania est une héroïne à sa façon, dans les tranchées du multiculturalisme, l'arme de notre insouciance à la main.
Et si on se décidait enfin à l'appuyer, à respecter ceux et celles qui, comme elle, travaillent à l'intégration des immigrants? Si on affirmait enfin, haut et fort, que nos valeurs et notre culture ne sont pas négociables, que notre loi s'applique à tous et que nous n'avons pas à subir les affronts de ceux qui les refusent? Si on osait exiger des nouveaux arrivants le respect de nos institutions et de ceux et celles qui oeuvrent à les aider à se réaliser dans notre maison à tous les jours?
Car si nous n'agissons pas au niveau de l'intégration en osant imposer nos valeurs, il va falloir agir au niveau du nombre d'immigrants à recevoir. Et ça, c'est un tout autre débat. Nécessaire, mais ô combien plus difficile à assumer pour les apôtres d'un multiculturalisme ayant accumulé les échecs comme les Québécois les médailles aux derniers Jeux Olympiques. D'ici là, merci Tania, et bon courage.
Lien
Libellés : Bétise humaine, Louis Préfontaine, Multiculturalisme, Religion et fanatisme
dimanche, décembre 27, 2009
Lettre ouverte à Richard Martineau, par Francis Chartrand

Bonjour M. Martineau,
Je vous envoie ce commentaire suite votre chronique de samedi dernier le 18 décembre «Pendant ce temps, au PQ». Je suis bloggeur et quelques fois. Je publie certaines de vos chroniques que j'apprécie. Je serais menteur si je vous dirais que vous n'auriez pas votre en politique. Continuez à déranger. Moi, j'aime ça.
Je m'étais présenté aux élections fédérales en janvier 2006 pour le NPD dans Rivière-des-Mille-Îles. Mais le 16 décembre 2007, alors qu'on s'apprêtait à se préparer pour les élections fédérales de 2008, j'ai appris par le biais des journaux (Torontois en plus) on me sacrait dehors en même temps que Micheline Montreuil.
Pourquoi? Ça m'a pris du temps à le savoir, mais la raison de mon évincement était parce que j'étais contre les accommodements raisonnables religieux. Malgré le soutient de certaines communautés culturelles, on m'a traité de raciste, de fasciste, de salaud, et certains membres du NPD avaient déclaré que ma mère auraient du se faire avorter, au lieu de me donner vie.
Au lieu de rester avec ces partisans en leur baisant le cul pendant qu'ils vomissaient sur moi et mes sympathisants, j'ai pris une position indépendante, où est-ce que je devenu un ardant partisan laïc en combattant le fanatisme religieux comme je peux. J'ai passé de la gauche à la droite, en quelque sorte. Et je préfère faire des excès que de rien faire.
On m'a récemment traité d'intolérant, comme parfois les gens se font traiter et pissent dans leur culotte. Lorsque ce qualificatif vient à moi, je remercie les gens du fond du coeur, car je ne tolère pas l'imbécillité de s'à-plat-ventrir dans des conneries, que les communautés culturelles, elles-mêmes, condamnent. Suis-je raciste? Si oui, tant pis pour vous, tant mieux pour moi, ma peau n'est gratuite, et ça va prendre la guerre totale pour avoir ma peau.
Il y a quelques semaines, vous demandiez s'il y avait quelqu'un, quelque part près à monter un parti politique laïc, bien j'en monte un, et j'ai commencé à conscientiser plus de 450 enfants, seulement en 2009 à Deux-Montagnes et à Saint-Eustache dans mon sous-sol de Deux-Montagnes contre les méfaits du multiculturalisme et sur la tolérance de la religion des autres. Je ne leur enseigne pas qu'ils sont supérieurs en tant que Blancs mais qu'ils ne sont pas inférieurs en tant que majorité visible.
J'informe aussi plusieurs parents des méfaits du cours d'ECR comme étant une tactique pour nous soumettre en tant que Blancs. Je leur enseigne à tolérer en autant que nous (les Québécois de souche) sommes tolérés à notre juste valeur. De nombreux noirs ont participé à mes ateliers identitaires, ils étaient "born again", ils sont devenus athées.
Voilà ce que je fais, et je le fais avec passion. Au lieu que les multi culturalistes rééduquent nos enfants québécois, j'enseigne même à des musulmanes à accrocher le voile dans la garde-robe, et j'enseigne même la guitare. Donc on a à Saint-Eustache des belles marocaines sexy et sans voile, qui jouent du Paul Piché en buvant de l'alcool à la Saint-Jean, des belles algériennes sexy et sans voile, qui jouent du April Wine à la Fête du Canada, en short jeans très court.
Ma blonde et moi, on a la même passion, on démulticulturalise, et on aime ça. Et on est au courant que la culture et la religion ce n'est pas la même chose.
Mais un drame est arrivé, à 2 semaines de Noël. Une mère de famille de Boisbriand m'a contacté le 14 décembre. Elle m'a autorisé à publier son nom sur le net ainsi qu'aux journaux, Marie-Claude Langlois, 32 ans.
Sa fille de 9 ans a été choisie par son prof (ils ont tiré son nom au hasard un pot en inscrivant son nom sur un bout de papier) pour faire une activité pour le cours d'ECR. Cette activité est se convertir à l'islam. Un imam attendait dans le couloir de l'école et a convertis (la confession était-elle sérieuse, seul lui le sait) la jeune fille en question. L'enseignante a voulu imposer son élève à la confession musulmane sans en parler à la mère ni à son conjoint.
Lorsqu'elle est revenue à la maison, elle portait le hijab. Un imam était supposé venir chez elle mercredi pour les convertir (de force?), sans leur propre consentement. Elle a contacté l'enseignante en question et elle lui a déclaré que cette expérience était d'une durée de 4 mois, comme quoi elle redevenait catholique à la suite. L'école les vend comme famille à l'islam. On lui a dit que si jamais elle osait retirer sa fille de ce projet, la DPJ s'en mêlait. Quelle belle réussite que le cours d'ECR!
Un de mes amis, Mathieu Arnaud, était au parc Ahunstic sur le trottoir je discutais hockey à un de ses chums. Déçu de la performance de Carey Price, il a lâché un sacre, un simple "osti".
Un musulman, avec une longue barbe noire dans la cinquantaine, assis sur un banc de parc non loin de là s'est levé et est allé porter plainte à une patrouille de la police qui était à côté.
La police les a interpellé; ils ont arrêté de marcher sinon ils se fesaient peut être tirer dessus. La police a aussitôt demandé leurs papiers, et les a émis une contravention pour avoir émis un sacre ou un blasphème ou un langage grossier; 75$ chacun.
Ils ont pourtant expliqué qu'ils étaient 2 étudiants du Cégep Ahunstic, 2 adultes consentants, parlant de la game de hockey de la veille, le musulman les a traité de "mécréants", de "chiens galeux", de "Canadiens mal éduqués", la policière lui donnait raison, mais Mathieu et son ami n'avaient pas le droit de se dire en sourdine: "Osti que la game était plate".
Pendant ce temps, alors que la policière avait le dos tourné, à 4 autos d'elle, 2 noirs faisaient un échange de drogue. Mathieu lui dit ce qui se passe; elle le traite de raciste, et lui remet une autre contravention pour propos racistes. Le musulman, quant à lui, lui demandait pourquoi nous les Québécois, à chaque fois qu'on voit des membres de rues, qu'on crie au trafic de drogue.
Quel con!
Bien entendu ils vont contester, et ils sont allés à SOS Ticket. Si jamais ils doivent aller en cour, leurs familles vont les soutenir.
Mathieu vient de Rouyn-Noranda. La police chez lui n'écoeure pas personne, pas plus que les immigrés. Pourquoi à Montréal tous ceux qui sont blancs, on les traite pire que des chiens en laisse? C'est vrai, Richard, qu'est-ce qu'on a fait à Dieu, Bouddha, Allah, Krishna, Jéhovah, etc.?
Il lui reste encore une session au Cégep Ahunstic. Après cela il part étudier à l'UQAB (Université de Québec en Abitibi Témiscaminque).
Sans doute, et malheureusement pour certains Montréalais (25% des gens qu'il a connu ici) qui lui ont été le fun, qu'il ne veuille plus jamais revenir ici. Les autres 75% l'ont traité pendant presque 2 ans comme un habitant, un paysan ou comme un méchant raciste.
Dommage, comme lui, je croyais que Montréal était civilisé.
Un jeune de 13 ans, à l'École Liberté-Jeunesse, à Sainte-Marthe-sur-le-lac à qui j'enseigne la musique anglo-saxonne et canadienne, a eu une retenue à cause d'une suppléante musulmane. Alors que c'est une période libre lors du cours de science, il fait un dessin en classe du système solaire, et associe les planètes à des professeurs dont il plaisante.
Il associe Saturne et Jupiter à 2 corpulentes enseignantes, Venus à une enseignante charmante de 23 ans, mais Pluton, à l'enseignante musulmane en question, alors que cette dernière s'est sentie à l'écart comme Pluton, prétextant que le jeune la voulait en dehors de l'école ou du pays. Il passera en janvier au conseil disciplinaire de l'école pour avoir tenu une comparaison discriminatoire raciale.
Me comprenez-vous, Richard? Comprenez-vous la droite identitaire? Comprenez-vous Hérouxville? On m'accuse de vendre à des jeunes de moins de 15 ans des exemplaires de croix gammées, et des copies de Mein Kemp, alors que Mein Kemp ne se consomme que lorsqu'on a 16 ou 18 ans. C'est moins violent que la Bible, le Coran et la Torah, mais ce n'est pas bien vu de le lire aux enfants, donc je le lis aux jeunes adultes.
Publiez ce qu'il vous chante, moi je poursuis mes actions politiques, et j'entends arracher les plus d'enfants des griffes du multiculturalisme.
Joyeux Noël,
Bien à vous,
Francis Chartrand,
Militant laïc
Libellés : Francis Chartrand, Laïcité, Multiculturalisme, Richard Martineau
jeudi, décembre 03, 2009
Multiculturalisme, « hybridation », « métissage culturel », une nouvelle illusion théorique dans les sciences sociales, par Francis Chartrand

Nous reprenons ci-dessous quelques extraits d'un texte de Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS.
Espoir des élites, crainte des masses
On sait que la globalisation constitue un processus planétaire complexe dont la première caractéristique est d’accélérer les échanges, les transferts et les mélanges, et, partant, d’ébranler les identités collectives substantielles, de les rendre instables et provisoires, alimentant incertitudes et craintes dans les masses territorialisées, et suscitant au contraire de l’espoir dans le monde des élites transnationales.
[...]
Le mot magique de métissage
Le discours d’éloge de la globalisation ou de la mondialisation, oubliant l’anxiété croissante provoquée par la dissolution des formes sociales et des spécificités nationales, met au premier plan ces caractéristiques supposées positives, qui semblent s’opposer sainement aux attitudes racistes de rejet des mélanges raciaux, de réification des identités collectives et de fermeture aux échanges entre cultures ou au « dialogue des civilisations ». Les mondialisateurs heureux y voient un progrès général de la tolérance et de l’« ouverture à l’autre », la promesse d’une universalisation rapide de l’écoute réciproque des cultures, processus qu’on célèbre ordinairement comme « enrichissant ».
L’évaluation positive des phénomènes de syncrétisme culturel s’est accentuée chez les théoriciens de la globalisation ayant recours à la métaphore de l’« hybridité », de l’« hybridation » ou du « métissage » (Clifford, 1994 ; Pieterse, 1995 ; Werbner, 2004). Idée paraissant simple, voire lumineuse : la globalisation étant une « hybridation », elle serait en elle-même un mécanisme antiraciste, en ce qu’elle tendrait à faire disparaître la hantise du métissage qui forme le noyau dur de la pensée raciste moderne, en même temps qu’elle effacerait les entités ethno-raciales abusivement érigées en absolus ou en essences a-temporelles.
[...]
Hybridité valorisée à l'extrême
L’hybridité est ainsi valorisée à l’extrême, comme expérience humaine, méthode d’invention et de création, et aussi comme style de vie caractérisé par sa « richesse » et son « ouverture ». C’est là suggérer qu’une existence « métissée » constitue la plus haute forme de l’existence humaine. Le « métissage », métaphoriquement généralisé, tend ainsi à devenir une méthode de salut. Le mot « métissage » lui-même prend une valeur magique : il est invoqué comme une force agissante.
Métaphores simplistes racialisantes
Les métaphores choisies et indéfiniment sollicitées par les critiques, les sociologues et les anthropologues ont toutes des connotations biologisantes, voire racialistes : « mélange », « croisement », « hybridation » ou « hybridité », « métissage ». Elles présupposent l’existence d’un état premier ou originel, un état de non-mélange jugé heureusement dépassé (ce serait même un « progrès »), caractérisé par la « pureté » des entités en question (de la « race » à la « culture », en passant par l’« ethnie »). Un état de nature, qu’on peut dire « sauvage », que les zootechniciens et les horticulteurs ont les premiers aboli par les techniques de sélection volontaire des « races » et des « variétés, et la pratique d’une hybridation contrôlée. Comme l’a montré Robert Young (1995), les usages culturels de la notion d’hybridité présupposent l’existence d’un passé culturel qui serait « pur », quelque chose comme un état de culture naturel, sans mélanges. Le sociologue et politologue Stuart Hall s’est élevé contre un tel usage du terme d’hybridité, en ce qu’il renvoie à un « processus mettant en présence des cultures au départ unitaires et autonomes qui se seraient ensuite réunies pour donner naissance à de l’hybridation » (Hall, 2009, p. 29). En dépit des intentions « antiracistes » déclarées de leurs utilisateurs, ces métaphores mélangistes racialisent ce à quoi elles renvoient.
[...]
Mythe postmoderne de la beauté métisse
Le discours mixophile présuppose l’existence de « races », d’« espèces » ou de « cultures » originellement « pures », état premier qui serait pour ainsi dire « dépassé » par l’état résultant des mélanges, des alliages ou des amalgames. Dans l’éloge contemporain de la « beauté du métis » (Hocquenghem, 1979) s’entend l’écho de celui de la « race » la plus belle, la « caucasienne » selon Blumenbach (1795 et 1804), exprimant l’une des évidences esthétiques de son époque (Bindman, 2002, pp. 190-201 ; Baum, 2006, pp. 73-92). L’idéal esthétique est certes aujourd’hui tout autre : la beauté des mythiques « races pures » a fait place à la beauté mythique des « métis ». Mais dans la célébration du mélange ou du mixte l’on perçoit des rémanences non contrôlées de la vieille fascination exercée par le pur ou l’homogène. Dans l’éloge de l’impureté résonne celui de la pureté. Un écho inversé reste un écho.
[...]
De la mixophilie à la francophobie et à la haine de soi
Dans son livre à la gloire du « métis », Hocquenghem marie la dénonciation de l’homophobie à une francophobie assumée, attestée dès le sous-titre de son pamphlet : « Réflexions d’un francophobe ». Liés explicitement ou non à une forme de sociocentrisme négatif ou de patriotisme inversé (philoxénie), les éloges « progressistes » de la « France métisse » se sont banalisés dans les années 1980. C’est ainsi que Jacques Chirac, au cours d’un voyage aux Antilles, a cru pouvoir lancer à son auditoire supposé « métissé » : « Nous sommes tous des métis » (cité par Le Monde, 15 septembre 1987). Le recours à la rhétorique unanimiste est une forme de connivence chère à tous les démagogues. Deux slogans antiracistes, se présentant comme des définitions mixophiles de la nation française, ont été massivement diffusés lors de la seconde « Marche pour l’égalité » (1984) : « La France, c’est comme une mobylette. Pour avancer, il lui faut du mélange » ; « Super, la France marche au mélange » (Taguieff, 1988, p. 381). L’antiracisme français, jusque-là aveugle à la couleur au nom de l’universalisme égalitaire de tradition républicaine, s’est transformé en un antiracisme mixophile prônant le métissage comme une norme majeure (Taguieff, 1995, pp. 53-81). Mais il y a mélange et mélange. L’idéal mixophile s’est en réalité fixé sur le type du métis Blanc/Noir, en s’incarnant par excellence dans la figure de l’afro-américain (ni trop « noir », ni trop « blanc »).
[...]
Certains se sont risqués à inclure le président Sarkozy dans le cercle du métissage heureux, en le décrivant comme un « petit Français au sang mêlé ». Mais l’absence de « racines africaines » semble constituer désormais un handicap, du moins dans l’espace médiatique dominé par les normes de la pop-éthique du « métissage ».
[...]
Éloge naïf de la fusion rédemptrice, de la raison métisse
Mais chez de nombreux auteurs contemporains célébrant l’hybridation culturelle, on rencontre un éloge plutôt naïf de la fusion rédemptrice, et d’une fusion furtive, qui prend souvent l’allure d’un éloge de la confusion créatrice. Mesuré dans ses analyses, Stuart Hall avance la thèse que l’« hybridité culturelle » est en train de changer la société britannique d’une façon positive : le simple constat qu’un processus de métissage affecte la production culturelle amène selon lui la société britannique à réfléchir sur le fait qu’elle n’est pas culturellement homogène (Hall, 1995). Ce serait là un « progrès ». D’autres théoriciens mixophiles moins prudents attendent le salut de « l’hétérogénéité métisse », où ils croient voir une puissance de « reconstruction permanente » (Nouss, 2002, p. 111).
On peut aller plus loin dans la néo-religion du métissage salvateur. Certains anthropologues militants, adeptes de « l’image enchantée du métissage » (Cunin, 2001), appellent à l’adoption d’une « raison métisse » (Amselle, 1990), quitte à dénoncer quelques années plus tard le « fantasme » ou le « piège » du métissage (Amselle, 1999 et 2000).
[...¸]
L'envers du décor : le cosmopolitisme, source d'angoisses
L’envers du décor « métissé », c’est que ces villes « cosmopolites » constituent une source intarissable de peurs, voire d’angoisses, qui alimentent une « paranoïa mixophobique » (Bauman, 2007, p. 119). Et les produits « métissés » font partie du décor des sociétés marchandes mondialisées : le nouveau « cosmopolitisme marchand » fait une grande consommation, notamment en raison de ses effets « somnifères » ou « tranquillisants » (Canclini, 2000a), de l’hybridité dans son discours publicitaire, dans ses bars et restaurants branchés (« hybrides »), dans ses industries culturelles (les « musiques métissées » sont partout) (Hutnyk, 2005).
[...]
Le métissage produit l'homogénéité et le conformisme
D’où ce résultat paradoxal : c’est par la diffusion planétaire normative de l’hybridité culturelle qu’est réalisée une homogénéité culturelle ne rencontrant que très peu de résistance. L’hybridation mondialisée est le rouleau compresseur qui produit l’homogénéisation et le nivellement des cultures, l’abolition finale de la diversité culturelle. Qu’opposer au processus d’hybridation supposé « progressiste » sinon les grosses notions d’identité ou de différence culturelle, disqualifiées pour « racisme », « nationalisme », « essentialisme » ou « communautarisme » ? Le combat semble perdu d’avance. Ce qui est sûr, c’est que, dans ce monde « métissé » en perpétuel mouvement, les nouvelles élites « hybrides et transnationales », mobiles et déterritorialisées, « nomades », sans identité définissable, sont comme poisson dans l’eau (Spivak, 1999). Ce monde est fait pour elles, non pour les peuples attachés à leurs langues, leurs paysages, leurs traditions. Leurs célébrateurs professionnels sont surinvités par les médias, avec l’idéologie implicite desquels ils sont en phase. Le discours d’éloge des échanges, des mélanges et du changement perpétuel a la réputation d’être « moderne », c’est-à-dire actuel ou contemporain, donc intrinsèquement bon. Telle est l’expression du conformisme intellectuel de notre temps (Taguieff, 2007, pp. 595-620).
Métissolâtrie sans voix devant le refus d'hybridité culturelle
Par ailleurs, les antiracistes qui s’étaient convertis à la religion du « métissage culturel » se trouvent sans voix devant certaines formes caractérisées de « refus de l’hybridité culturelle », par exemple chez les femmes musulmanes dans nombre de pays européens (dont la France et la Grande-Bretagne). Comment interpréter ce rejet du projet normatif mixophile supposé séduisant, en particulier pour les femmes de religion musulmane ?
[...]
Discours publicitaire et pauvreté conceptuelle des sociologues
La leçon épistémologique qu’on peut tirer d’un tel suremploi du vocabulaire contemporain du « croisement » et du « mélange » (de la « mixité » et de la « diversité » au « métissage » et à l’« hybridité »), suremploi qui a fait émerger une langue de bois utilisée par les célébrateurs de la mondialisation comme entrée dans une ère radieuse, c’est que les usages métaphoriques de mots séduisants dans la conjoncture ne remplacent pas les difficiles élaborations conceptuelles, ni la construction patiente de modèles théoriques sur la base d’hypothèses réfutables. Le discours publicitaire, faut-il le rappeler, ne doit pas être confondu avec le langage construit de la connaissance scientifique. S’il ne faut pas « prendre la paille des mots pour le grain des choses » (Leibniz), il ne faut pas non plus prendre les scintillements des métaphores pour des théorisations scientifiques. Des « croisements » aux « branchements », en passant par les « hybridations » et les « métissages », n’assiste-t-on pas à une vaine parade de métaphores trompeuses, impensées, dangereuses dans leurs effets de sens non contrôlés, exprimant l’impuissance conceptuelle des sociologues et des anthropologues face aux conséquences culturelles de la globalisation ?
Lien
Libellés : Bétise humaine, Francis Chartrand, Islam, Multiculturalisme, Religion et fanatisme
S'abonner à Messages [Atom]