lundi, décembre 01, 2008

 

La peur d'aller au champ, la peur de mourir, par Noémie Cournoyer


Dans la région de Kirotshe en République démocratique du Congo (RDC), à l’ouest de Goma, Médecins Sans Frontières (MSF) travaille des deux côtés de la ligne de front en soutenant un hôpital de référence et en menant des cliniques mobiles. Dans le camp de déplacés de Shasha, MSF fournit une assistance psychosociale aux personnes déplacées. Carmen Martinez, une psychologue travaillant pour MSF dans la région explique.

Carmen, peux-tu décrire les activités psychosociales dans le camp de Shasha?

Nous avons lancé un programme psychosocial pour aider les personnes déplacées, mais aussi certains membres de la population résidente, de surmonter le traumatisme qu’ils ont subi à cause de la guerre. C’est un programme communautaire, c’est-à-dire avec la base de la communauté, et sans «techniciens.» Je suis la seule psychologue. Au cours de la semaine dernière, j’ai formé 22 «sensibilisateurs». Ils se sont organisés en six groupes, correspondants à différentes parties du camp. Outre ces activités collectives, ou «communautaires», il y a un volet individuel, avec des consultations individuelles pour ceux qui sont les plus affectés.

Concrètement, comment travaillent les sensibilisateurs?

On organise des groupes de parole, avec un thème de discussion. Il y a environ 60 à 80 personnes par groupe de parole. Au cours d’une session, la semaine dernière, le premier thème était la « santé ». La santé dans une approche globale : physique, sociale et mentale. Certaines personnes ont parlé de maux de tête, de maux de ventre, de troubles du sommeil. D'autres vivaient avec le sentiment d'être isolés. Aujourd’hui, on a parlé des soucis de la population. On a essayé d’identifier les événements qui les avaient marqués. Ils nous ont parlé de leur peur d’aller au champ pour cultiver, de leur peur de mourir… Ils se sont souvenus de leur fuite comme de quelque chose de très soudain. Nous essayons de trouver quelques outils de récupération qui les aideront à surmonter cette situation. Par exemple, le fait d’avoir des porte-parole pour recueillir les besoins de la communauté. Ou encore le fait de poursuivre les pratiques traditionnelles comme les rituels, par exemple.

En quoi consistent les entretiens individuels?

En plus de la mobilisation sociale, il y a ce qu’on appelle les consultations individuelles. Deux personnes ont été formées pour devenir, avec moi, conseillers psychosociaux. Une séance se déroule comme une consultation médicale, où l’on essaie d’identifier les problèmes les plus importants, les événements vécus récents ou de vie très forts. On aborde les réactions physiques et mentales en laissant la personne s’exprimer. Lors d’une séance, il y avait un soldat démobilisé. C’est-à-dire qu’il a quitté un groupe armé pour rentrer dans la vie civile. Il parlait de flashbacks, de peurs pendant la nuit, de cauchemars, de vives émotions la nuit quand il entend le moindre bruit… Il disait qu’il avait peur de sortir de chez lui. En fait, par ce comportement, il évitait une situation qui pourrait lui rappeler quelque chose qu’il a vécu. Il y a beaucoup d’exemples similaires parmi les personnes déplacées.

Quelles sont les conditions de vie dans le camp?

Ici au camp de Shasha, il y a environ 4300 personnes déplacées. Un certain nombre de déplacés sont aussi dans des familles d’accueil. Ils ont tout laissé derrière eux, des familles ont été séparées. À Shasha, une vingtaine d’enfants ne sont pas accompagnés, beaucoup parce qu'on ne sait pas où sont leurs parents. Les gens me parlent aussi du vol de leurs biens par des hommes armés. Le 27 octobre, tous ont évacué à la hâte le camp de Shasha pour aller à Minova, plus au sud. Quand la sécurité dans la zone leur a permis de rentrer, tout était pillé. Ils n’ont presque rien, ils ont reçu quelques couvertures, bâches en plastique, bidons… Leurs huttes sont très petites. Les conditions d’hygiène dans le camp sont exécrables. C’est important pour nous d’insister sur les mesures d’hygiène de base et de promotion de la santé. Certains groupes de parole sont consacrés à l’hygiène, par exemple.

Comment peut-on se remettre de telles expériences traumatisantes?

Il faut trouver, ensemble avec le patient, les mécanismes qui fonctionnent encore bien. Par exemple, le fait de pouvoir se confier à quelqu’un ou bien pour certains, d’être avec sa famille au complet, etc. Le soldat démobilisé, dont je vous parlais, m’a dit qu’il pouvait au moins encore aller travailler, qu’il allait parfois au champ… Au cours des consultations individuelles, on repère ces points positifs et on se met d’accord sur ce qu’on peut faire ensemble. Il faut leur faire comprendre que leurs réactions sont normales et qu’elles font suite à des événements qui, eux, ne sont pas normaux.

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