lundi, décembre 15, 2008

 

L’Ombudsman de Radio-Canada conclut qu’un film de propagande pro-palestinien n’aurait pas dû être diffusé, par Anne Humphreys



L’ombudsman Julie Miville-Dechêne (photo ci-contre) a conclu qu’en raison notamment de failles dans le contrôle éditorial, la présentation du film Paix, propagande et Terre promise à l’émission Les grands reportages contrevenait aux
Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada. Ce film avance, sans en faire la preuve, que le gouvernement israélien contrôle les médias américains. Il contient des anachronismes et des inexactitudes et des groupes militants pro-palestiniens ont été associés à la recherche.

La décision du 8 décembre 2008 de Madame Julie Miville-Dechêne portant sur le film Paix, propagande et Terre promise diffusé le 23 octobre 2008 sur les ondes du Réseau de l’information de Radio-Canada (RDI), fait suite à une demande de révision soumise par le Comité Québec-Israël.

Ce Comité demandait à l’ombudsman de déterminer si le film et l’encadrement offert par RDI satisfont aux Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada. La demande de révision concluait comme suit :

«En omettant d’identifier le film comme un documentaire d’opinion de type engagé et en reprenant presque littéralement la description de son auteur, RDI a enfreint les normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada, lesquelles stipulent que «la production devrait être clairement identifiée au début et à la fin comme étant un documentaire d’auteur». Ironiquement, alors que l’animateur Simon Durivage demandait en introduction si les médias américains ne déformaient pas le jugement de son public, c’est RDI qui a contribué à la déformation du jugement de son propre public sur le conflit israélo-arabe.»

La décision de Mme Miville-Dechêne, reproduite plus bas, répond à chacune des objections soulevées par le Comité Québec-Israël.

Mais d’abord, par-delà la question du traitement du conflit israélo-palestinien qui fait l’objet de la décision de l’ombudsman, c’est l’ensemble de la couverture médiatique de l’islam politique que nous mettons en cause à Point de Bascule, sujet sur lequel nous reviendrons en profondeur.

À quand un reportage sur l’idéologie impérialiste, suprématiste et haineuse qui a pris des proportions endémiques chez les musulmans, comme le souligne avec lucidité l’éminent religieux indien Wahiduddin Khan, qui invite les musulmans à un travail d’introspection et de déconditionnement idéologique ? Cette idéologie aux fondements théologiques que Khan invite à déconstruire, est à l’origine d’innombrables massacres de civils innocents dans le monde. Elle anime les sunnites wahhabis salafistes d’Arabie saoudite (11/9), les deobandi du Pakistan (Mumbai), les chiites d’Iran et du Hezbollah au Liban. Elle explique la violence djihadiste au Maroc, en Tunisie, au Soudan, en Somalie, au Yémen, en Tchétchénie, aux Philippines, en Indonésie, en Malaisie, à Gaza, à Londres, à Madrid, et ailleurs. Quelle est la trame commune ici ? Elle est évidente, mais les médias se fendent en quatre pour ne pas la nommer, sous couvert d’une rectitude politique mal placée qui fait partie du problème plutôt que de la solution, ou d’un sens de l’objectivité dont Godard s’est moqué par la formule «cinq minutes pour les Juifs, cinq minutes pour les Nazis».

Revenant à notre sujet, voyons d’abord ce que fait l’Ombudsman de Radio-Canada.

L’OMBUDSMAN DE RADIO-CANADA

Le bureau de l’ombudsman est présenté comme suit sur le site de Radio-Canada :

Exactitude, intégrité, équité

«L’ombudsman Julie Miville-Dechêne est à votre écoute. Elle vous représente, vous les téléspectateurs, auditeurs et internautes de Radio-Canada. Elle évalue le bien-fondé de vos plaintes, au meilleur de son jugement, et de façon tout à fait indépendante. Vous croyez qu’une information à notre antenne ou sur notre site web est biaisée, ou inexacte ? Contactez-nous».

Radio-Canada s’est doté de Normes et pratiques journalistiques qui décrivent la manière dont cette institution financée par les contribuables répond aux attentes du public et remplit ses obligations. Ces normes sont passablement détaillées, et servent de guide aux décisions de l’ombudsman.

****

Bureau de l’ombudsman des Services français

Le 8 décembre 2008

RÉVISION Documentaire Paix, propagande et Terre promise Diffusé le 23 octobre 2008 à l’émission Les grands reportages au Réseau de l’information

Sommaire

Plus de 150 personnes ont dénoncé à mon bureau la diffusion du documentaire étranger, pro-palestinien Paix, propagande et Terre promise, à l’émission Les grands reportages, au Réseau de l’information (RDI), le 23 octobre 2008. Elles reprochent à Radio-Canada d’avoir mis en ondes une œuvre de propagande contenant des erreurs de faits.

Radio-Canada a admis une erreur : ses Normes et pratiques journalistiques n’ont pas été respectées dans la présentation du documentaire. Il n’y a eu aucune mention de la date de production (2003) et du fait que la situation sur le terrain avait changé depuis ce temps, notamment à cause du démantèlement des colonies israéliennes dans la bande de Gaza.

Produit il y a cinq ans, le documentaire contient des anachronismes et des inexactitudes, et des groupes militants pro-palestiniens ont été associés à la recherche.

Étant donné les circonstances et les failles constatées dans le contrôle éditorial, ce documentaire n’aurait pas dû être diffusé.

LES PLAINTES

Le 23 octobre 2008, l’émission Les grands reportages au Réseau de l’information (RDI) présentait un documentaire américain intitulé Paix, propagande et Terre promise, qui portait sur l’image du conflit israélo-arabe que véhiculent les médias américains.

J’ai reçu 156 plaintes au sujet de cette émission. La plupart des plaignants, originaires de divers pays, ont répondu à l’appel du groupe pro-israélien de surveillance des médias HonestReporting Canada. Ce groupe de pression a incité en ligne ses partisans à envoyer des plaintes à mon bureau. D’autres téléspectateurs canadiens qui ont vu l’émission se sont également plaints spontanément à mon bureau. Pour eux, il s’agit non pas d’un documentaire équilibré, mais d’une œuvre de propagande en faveur des Palestiniens, qui contient des erreurs de faits. Voici un extrait de la plainte du Comité Québec-Israël :

«(…) En omettant d’identifier le film comme un documentaire
d’opinion de type engagé et en reprenant presque littéralement
la description de son auteur, RDI a enfreint les normes et
pratiques journalistiques de Radio-Canada, lesquelles stipulent que
la production devrait être clairement identifiée au début et à la
fin comme étant un documentaire d’auteur (…)

La participation exclusive de militants et d’employés de groupes
de pression et d’intérêts organisés, ainsi que les remerciements
de la production aux dits groupes non seulement compromettent-ils
gravement la responsabilité du RDI de veiller à ce que des groupes
d’intérêt politiques […] ou encore de pression ne cherchent à faire
valoir leurs opinions par le biais de ce genre de productions, mais
auraient dû susciter auprès du RDI des interrogations quant à
l’indépendance de la production du film de tout groupe qui pourrait
avoir un intérêt direct dans la question abordée.

En présentant un réquisitoire unilatéral contre l’une des deux parties
d’un conflit, RDI a failli à son devoir d’assurer l’équité et l’équilibre
en négligeant de présenter dans le cadre de cette émission d’autres
points de vue sur la question, afin, comme le stipulent les Normes
et pratiques journalistiques de Radio-Canada, que l’auditoire puisse
constater qu’on peut tirer des conclusions différentes des mêmes faits.

En tolérant les nombreux accrocs du film aux réalités historiques,
politiques et diplomatiques du conflit israélo-palestinien, RDI a
manqué à sa responsabilité quant à l’exactitude des faits – applicable
même dans le cas d’un document d’opinion – et a omis d’appliquer
au film le critère de qualité exceptionnelle et de pertinence avant
de le diffuser, tel que stipulé dans ses propres Normes et pratiques
journalistiques. (…)».

La directrice, Traitement des plaintes et Affaires générales, a envoyé cette réponse à tous les plaignants :

«Nous avons bien reçu vos commentaires concernant le
documentaire Paix, propagande et Terre promise, présenté
à l’émission Les grands reportages, diffusé sur RDI le 23 octobre.

Permettez-moi d’abord de vous donner quelques explications sur
le contexte dans lequel nous diffusons des documentaires. Le
format documentaire privilégie le point de vue personnel. Dans la
quasi totalité des cas, ces documents sont des œuvres signées
par des réalisateurs de l’extérieur de Radio-Canada. Nous choisissons
de les diffuser parce que nous croyons qu’ils contiennent des
informations dignes d’intérêt.

En diffusant des documentaires d’opinion, Radio-Canada ne fait
pas la promotion des opinions qu’ils contiennent. Au contraire, la
démarche s’inscrit dans notre volonté d’offrir une variété de points
de vue sur des sujets d’intérêt public.

Le documentaire Paix, propagande et Terre promise contenait
des informations intéressantes pour le public canadien sur le traitement
du conflit israélo-palestinien dans les médias américains. Il s’agissait
d’une production américaine de Media Education Foundation, distribuée
par Mundovision.

Cela dit, ce documentaire est une mise à jour partielle d’un
document tourné il y a maintenant quatre ans, avant qu’Israël
ne se retire de Gaza. Par conséquent notre présentation en ondes
aurait dû le replacer dans son contexte d’il y a quatre ans plutôt
que comme un document contemporain aux enjeux que pose
le Moyen-Orient à la veille des élections présidentielles américaines
de 2008.

Il s’agissait en effet d’un point de vue très personnalisé sur le conflit.
Nous reconnaissons que ce point de vue était nettement
pro-palestinien. Nous tenons à vous assurer que nous avons
récemment acquis d’autres documentaires offrant des regards
différents sur la situation en Israël et à Gaza et nous comptons
les diffuser au cours des prochains mois. (…)»

Après avoir reçu cette réponse, plusieurs plaignants m’ont demandé de réviser le dossier, car, selon eux, ce documentaire n’aurait tout simplement pas dû être diffusé, quelle qu’en ait pu être la présentation.

LA RÉVISION

Les règles à suivre

L’information diffusée à Radio-Canada doit respecter les trois principes au cœur de ses Normes et pratiques journalistiques : l’exactitude, l’intégrité et l’équité. Toutefois, il existe des exceptions pour les documentaires produits à l’extérieur de la Maison, notamment les «documentaires d’opinion au sens de documentaires engagés» :

«Le terme documentaire d’opinion sert aussi à décrire une
œuvre nettement engagée ou une thèse, un plaidoyer qui,
s’appuyant sur des faits, préconise une solution ou un point
de vue particulier sur un sujet controversé. Bien que l’oeuvre
soit basée sur des faits, elle ne décrit pas de façon équitable
la variété d’opinions qui peuvent exister sur le sujet ou le
dossier en question.

Le programmateur devra parfois décider s’il doit diffuser une
production qui transgresse de façon significative les normes
journalistiques de Radio-Canada parce que cette production
prend ouvertement parti sur une question controversée, au
point d’exclure les autres faits pertinents et les autres points
de vue. (…)»

(NPJ, Annexe A, 2.4)

Le documentaire Paix, propagande et Terre promise répond à ces critères. Le film avance, sans en faire la preuve, que le gouvernement israélien contrôle les médias américains, écrits et électroniques. Afin d’illustrer cette thèse, le documentaire se sert d’extraits de bulletins de nouvelles télévisées qui passent sous silence le fait que les territoires palestiniens sont occupés par Israël. D’après le film, cette omission, le choix de mots et l’absence systématique de contexte renforcent de fausses perceptions dans le public américain. Il n’y a pas d’équité, d’équilibre ou de nuance ici : ce documentaire pro-palestinien ne présente qu’un seul point de vue, qu’un seul côté de la médaille. Toutes les personnes interrogées – universitaires, activistes israéliens et palestiniens, critiques des médias et journalistes – sont d’accord avec ce point de vue. Si Radio-Canada choisit de présenter un documentaire de ce genre, des règles s’appliquent :

Radio-Canada «(…) devrait veiller à ce que des groupes d’intérêt
politiques ou économiques, ou encore des groupes de pression,
ne cherchent à faire valoir leurs opinions par le biais de ce genre
de production.»
(NPJ, Annexe A, 2,4)

«La production devrait être clairement identifiée au début et à la
fin comme étant un documentaire d’auteur.»
(NPJ, Annexe A, 2.4, b)

«Les faits devraient être exacts même s’il s’agit d’une œuvre
d’opinion, et les arguments devraient être conformes aux faits. (…)»
(NPJ, Annexe A, 2.4, d)

La production est-elle clairement identifiée ?

La direction de Radio-Canada a rapidement admis son erreur : la présentation de ce reportage ne respecte pas la politique journalistique de Radio-Canada. Voici la transcription de cette présentation des Grands reportages :

«Paix, propagande et Terre promise. Les médias américains ne
voient-ils dans la colonisation israélienne des territoires occupés
qu’un geste de défense ?

Bienvenue à Grands reportages. La signature d’un accord de paix
au Proche-Orient avant la fin de 2008, comme le prévoyait la
conférence d’Annapolis l’an dernier, est-elle encore possible ?
Avec l’approche de l’élection américaine et les deux premiers
ministres israélien et palestinien, tous deux sur leur départ,
beaucoup en doutent. Selon des experts du Proche-Orient depuis
40 ans, la politique de colonisation de l’État hébreu s’est accentuée
à l’intérieur des territoires palestiniens occupés. Conséquence :
la violence est quotidienne, tant du côté palestinien qu’israélien.
Alors, quel message véhiculent les médias américains sur cet
interminable conflit ? Déforment-ils le jugement de nos voisins
du Sud ?»

À aucun moment, ni dans cette présentation, ni à la fin de l’émission, on ne dit qu’il s’agit d’un documentaire d’opinion, d’un film engagé. Nulle mention n’est faite de son auteur ou de sa maison de production américaine Media Education Foundation. En fait, c’est le nom du distributeur montréalais qui se trouve au début du documentaire et dans le générique. Plus troublant encore, à aucun moment, ni dans la présentation, ni dans le générique, on ne précise que le documentaire est sorti en 2003, date qui m’a été confirmée par le producteur.

Ces omissions privent les téléspectateurs d’informations essentielles. Pourtant, le site Internet de la maison de production indique clairement que ce film date de 2003. Cinq ans dans le conflit israélo-palestinien, c’est long. À cette époque, on était dans la deuxième vague de l’Intifada. Depuis, la situation a évolué : les Israéliens se sont retirés de la bande de Gaza ; Ariel Sharon a créé un nouveau parti favorable au démantèlement des colonies avant d’être terrassé par deux AVC et de tomber dans le coma ; Yasser Arafat est mort ; les Palestiniens de Gaza ont élu les radicaux du Hamas ; les Israéliens ont construit une clôture autour de la Cisjordanie ; les attentats-suicides ont pris fin en Israël ; l’offensive de l’armée israélienne contre le Hezbollah au Liban a fait 1 200 morts.

La présentation donne l’impression que le documentaire est récent. Le premier directeur responsable du contenu des documentaires à Radio-Canada admet que la mise en contexte est absente. À son avis, il aurait fallu dire que les colons et l’armée israélienne avaient quitté Gaza, et peut-être poser la question suivante pour lancer le documentaire : «On peut se demander si la situation a changé depuis ce temps.»

Quand Radio-Canada achète un documentaire, elle l’adapte, le traduit au besoin et le raccourcit, dans ce cas-ci de 52 à 43 minutes. C’est un réalisateur qui est chargé de ce travail. Le réalisateur en question me dit qu’il n’a pas réussi à trouver la date de production du documentaire. Il a plutôt choisi de bien identifier les extraits de vidéo dans le documentaire, extraits qui dataient de 2000 à 2003.

Le journaliste à la recherche, chargé d’écrire la présentation, admet son erreur. Il était accaparé, me dit-il, par une autre série de documentaires. Deux cents documentaires doivent être adaptés pour Les grands reportages au RDI chaque année.

Le réalisateur de Radio-Canada responsable des acquisitions dit que, sur papier et lors du visionnement, Paix, propagande et Terre promise lui a paru digne d’intérêt, car le documentaire présentait un angle neuf sur le conflit israélo-palestinien. Le réalisateur a cru que l’oeuvre était contemporaine, puisque dans le catalogue 2008 du «marché international des programmes documentaires», Paix, propagande et Terre promise était décrit comme étant «en production».

Il me dit que le distributeur ne l’a pas prévenu que le film n’était pas récent. De son côté, le distributeur se rappelle avoir indiqué que Paix, propagande et Terre promise était sorti en salle au début de 2005. Quoi qu’il en soit, Radio-Canada a pris conscience de la véritable date de production (2003) lorsque les plaintes ont commencé à s’accumuler. Les artisans à qui j’ai parlé m’ont tous dit qu’il leur faudra être plus vigilants à l’avenir.

La grande différence entre le documentaire de 2003 et la version diffusée en octobre 2008 au RDI est sa durée. L’oeuvre originale fait 80 minutes ; le distributeur a demandé au producteur de réduire son film à 52 minutes pour pouvoir le vendre à des chaînes de télévision. Le distributeur a fait enregistrer une narration pour accompagner la version écourtée. Il a supprimé quelques anachronismes flagrants dans la version internationale en anglais. À mon avis, cela n’est pas suffisant pour parler de «mise à jour». Vous pouvez voir le documentaire intégral et lire la transcription sur le site de la maison de production : http://www.mediaed.org/cgi-bin/commerce.cgi

Un documentaire d’auteur pro-palestinien ou une œuvre de propagande ?

Radio-Canada doit s’assurer que les documentaires qu’elle achète ne sont pas des outils de propagande de groupes de pression. Si Radio-Canada avait visionné la version intégrale de 80 minutes de Paix, propagande et Terre promise, elle se serait rendue compte qu’à la fin du film on peut lire des remerciements adressés à plusieurs groupes militants pro-palestiniens (Electronic Antifada, Al-Awda Right of Return Coalition, Islam Online). Le producteur et réalisateur m’assure que ces groupes de pression n’ont pas financé son film, mais seulement fourni de l’aide pour la recherche.

Cette proximité entre groupes militants et documentaristes est troublante. Par exemple, l’une des données-chocs du documentaire est que seulement 4 pour cent des reportages télévisés aux nouvelles mentionnent que la Cisjordanie et Gaza sont «occupées». Une petite note au bas de l’écran attribue cette statistique de 2001 au groupe Fairness and Accuracy in Reporting FAIR. Il s’agit d’un groupe pro-palestinien de surveillance des médias, le pendant des groupes pro-israélien CAMERA (Committee for Accuracy in Middle East Reporting in America) et HonestReporting, à l’origine de nombreuses plaintes adressées à mon bureau contre ce documentaire. Il ne s’agit pas d’une recherche indépendante.

Il aurait fallu à tout le moins que ces faits soient connus de Radio-Canada afin que cela puisse faire partie de l’évaluation éditoriale du produit.

Les faits rapportés sont-ils véridiques ?

Même s’il s’agit d’un documentaire d’opinion, les arguments présentés doivent reposer sur des faits, en vertu des règles radio-canadiennes. Or, les anachronismes sautent aux yeux. Des anachronismes qui font croire au téléspectateur non averti que la bande de Gaza est encore occupée par l’armée et les colons israéliens. La réalité est tout autre : les colons ont quitté la bande de Gaza depuis 2005, l’armée israélienne a évacué le territoire, bien qu’elle l’encercle encore et contrôle les entrées et sorties des Palestiniens et des marchandises.

À 3 minutes et demie du début, on peut lire au bas de l’écran : «La Cisjordanie et la bande de Gaza sous occupation militaire.»

À 9 minutes du début : «Donc, on pourrait dire qu’en plus de l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza, Israël (…).»

À 12 minutes du début, la narratrice dit : «… Quatre pour cent des reportages du réseau médiatique 2 sur la Cisjordanie occupée et sur la bande de Gaza mentionnent que ce sont des territoires occupés.»

À 20 minutes 17 du début, la narratrice dit : «Les territoires palestiniens sont parsemés de colonies qui sont établies de façon stratégique (...) les colonies, avec la terre voisine qu’ils se sont appropriée, contrôlent plus de 40 % de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.» À l’écran, on voit une carte où des petits points blancs, illustrant les colonies, parsèment la Cisjordanie et la bande de Gaza.

La première surimpression erronée a été ajoutée par le réalisateur de Radio-Canada chargé de l’adaptation. Ni lui, ni personne n’a remarqué les anachronismes avant la mise en ondes. Même si le réalisateur qui adaptait l’oeuvre me dit qu’il pensait que ce documentaire «était limite», il n’a pas fait part de ses inquiétudes au personnel-cadre. Résultat : aucun cadre responsable n’a visionné le documentaire avant qu’il soit diffusé.

L’animateur Simon Durivage n’est pas responsable de ces erreurs. Il enregistre les présentations qu’on lui prépare entre deux interventions en direct au RDI, où il est en ondes quatre heures ou plus par jour.

Le fait de ne pas mentionner le retrait de la bande de Gaza n’est pas anodin, car une partie de l’argumentaire du film repose sur l’affirmation suivante : «le but d’Israël est d’annexer définitivement les territoires occupés». C’est peut-être vrai pour une partie de la Cisjordanie, mais cela s’est déjà révélé faux pour la bande de Gaza.

Autres inexactitudes relevées :

Les affrontements de Djénine en 2002. «Cet événement, bien que largement condamné comme crime de guerre par les organisations des droits de l’homme, fut minimisé par les médias américains qui le remirent en cause et écartèrent la possibilité d’un massacre.» (extrait du documentaire). Du côté palestinien, on parlait à l’époque de 500 victimes. Une enquête de Human Rights Watch a conclu qu’il n’y avait pas de preuve de massacre. Cinquante-sept Palestiniens et vingt-quatre Israéliens sont morts dans ces affrontements.

«La position d’Israël est tout sauf défensive.» : il s’agit d’une généralisation douteuse.

Les territoires occupés : «un pays étranger» : la Cisjordanie et la bande de Gaza ne font pas partie d’Israël. Ces territoires ne sont sous aucune juridiction. Les Palestiniens veulent en faire un pays, mais ce n’est pas encore une réalité.

À plusieurs reprises, le documentaire mentionne l’occupation «illégale» des territoires palestiniens par Israël. La réalité juridique est plus complexe : la colonisation juive et l’érection d’une clôture de sécurité en Cisjordanie sont sans conteste illégales. Mais les experts ne s’entendent pas sur le caractère «illégal» de toute présence militaire israélienne en Cisjordanie à cause de l’ambiguïté dans la version anglaise de la résolution 242 des Nations Unies (1967). Le retrait doit se faire «des territoires» (from territories). Le retrait israélien de la totalité des territoires est-il obligatoire ou non en vertu de la résolution 242 ? L’interprétation de cette clause n’a jamais été éclaircie par les tribunaux.

Sur cette question, le directeur de la grille du RDI pense que Radio-Canada n’a pas le personnel nécessaire pour vérifier les faits contenus dans les 200 documentaires achetés chaque année. D’où l’importance d’écrire une présentation solide afin de faire les mises en garde nécessaires à l’intention des téléspectateurs. Le premier directeur responsable du contenu des documentaires ajoute que Radio-Canada fait confiance aux producteurs étrangers réputés (p. ex., la BBC), mais que la Société ne peut se départir de sa responsabilité d’évaluer sérieusement le contenu des œuvres diffusées.

Les deux cadres, qui cumulent plusieurs responsabilités, disent qu’il est impensable pour eux de regarder tous les documentaires avant la mise en ondes, surtout que, pour en acheter 200, il faut en visionner le double. Quand les artisans ont des doutes sur un documentaire, ils doivent demander conseil à l’un de leurs supérieurs. Cette fois, aucun signal d’alarme n’a été déclenché tout au long du processus. Le directeur de la grille du RDI estime qu’il s’agit d’un événement isolé, qui ne doit pas faire oublier le travail effectué depuis 14 ans. À la lumière de cette erreur, le premier directeur des documentaires ajoute qu’il lui faut resserrer le contrôle éditorial au Service des acquisitions.

Le documentaire aurait-il dû être diffusé ou non ?

Le fait que ce documentaire soit favorable à la cause palestinienne n’est pas en question ici. Radio-Canada a le droit de diffuser des films d’opinion, pourvu qu’ils soient clairement présentés comme tels. Radio-Canada doit aussi favoriser une diversité de points de vue dans sa programmation. Aucune comptabilité stricte n’existe sur les «points de vues» diffusés à propos du conflit israélo-palestinien, mais le premier directeur assure que ce souci de diversité existe. Avant que cette controverse n’éclate, il avait acheté les droits de documentaires israéliens forts intéressants qui seront diffusés au début 2009.

Le premier directeur pense que ce documentaire méritait d’être diffusé à cause de la renommée de certains des participants. Il est toutefois d’avis que, pour préserver l’intégrité de l’oeuvre, il ne faut pas se mettre à faire des retouches çà et là afin que le film n’ait plus l’air de dater de cinq ans. Il n’est donc pas d’accord avec la démarche du distributeur qui a dit avoir fait une mise à jour de Paix, propagande et Terre promise en 2008.

Le producteur et réalisateur du documentaire est convaincu que son film est toujours pertinent. Il m’a dit : «Cela ne change rien que la bande de Gaza ne soit plus colonisée par Israël, car ce territoire est devenu une prison à ciel ouvert.» La situation sur le terrain n’a pas changé, et il est toujours aussi vrai, à son avis, que les médias américains, écrits ou électroniques, omettent systématiquement de parler de l’occupation de la Cisjordanie et des raisons qui motivent la résistance palestinienne. Il prépare un nouveau film sur la couverture faite par les médias américains à propos de la bande de Gaza et de l’offensive israélienne au Liban.

Conclusion

L’erreur a déjà été reconnue par la direction de Radio-Canada. Les Normes et pratiques journalistiques n’ont pas été respectées dans la présentation du documentaire étranger Paix, propagande et Terre promise, diffusé à l’émission Les grands reportages, le 23 octobre 2008. Radio-Canada aurait dû préciser qu’il s’agissait d’un documentaire engagé, que la situation sur le terrain avait changé depuis cinq ans, date de production du film, notamment parce qu’Israël s’était retiré de la bande de Gaza. Enfin, il aurait dû être clair qu’il s’agissait d’une œuvre produite à l’étranger.

Étant donné les circonstances et les failles constatées dans le contrôle éditorial, ce documentaire n’aurait pas dû être diffusé.

Julie Miville-Dechêne

Ombudsman, Services français

Société Radio-Canada

2008-12-08

Adresse électronique : ombudsman@radio-Canada.ca

Site web : http:/www.radio-canada.ca/ombudsman

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