samedi, décembre 12, 2009
Polytechnique dans nos têtes, par Richard Martineau
Richard Martineau
Journal de Montréal
06/12/2009 07h20
Chaque année, c'est la même chose. Plus on s'approche de la date fatidique du 6 décembre, plus les groupes masculinistes radicaux s'excitent sur Internet.
On dirait des vampires qui sentent poindre les premières lueurs de l'aube. Ils crient, crachent, se convulsent, comme si on leur lançait de l'eau bénite.
LA FAUTE AUX FÉMINISTES
Les pires de la bande, les plus hystériques, les plus inquiétants sont les membres du groupe L'Après-rupture.
«Les grandes orgues féministes victimaires se mettent branle pour souligner le 20e anniversaire du drame de Polytechnique, ont-ils écrit cette semaine. Triste récupération fondée sur des émotions, des déclarations mélodramatiques reprises en choeur par les médias qui préfèrent les shows aux analyses sérieuses, impartiales.
«Polytechnique, déplorable récupération par les organisations féministes qui doivent entretenir leur propagande afin de s'assurer le versement annuel de lucratives subventions.
«Personne ne pose la question : pourquoi Marc Lépine a-t-il posé un tel geste ? La réponse est fort simple. Lépine a vécu en pleine éclosion du féminisme qui diabolisait les hommes...»
Bref, si Lépine s'est pointé à Polytechnique et a abattu 14 femmes, c'est à cause des méchantes féministes.
Ce message serait risible s'il n'était pas si dégueulasse...
SE TIRER DANS LE PIED
Que des groupes masculinistes militent pour recevoir plus de subventions afin de venir en aide aux hommes en détresse est une chose.
Mais faut-il pour autant dépeindre Lépine comme une pauvre victime de «la propagande féministe grassement subventionnée avec l'argent des contribuables» ?
Les membres de L'Après-rupture ne se rendent-ils pas compte qu'ils se tirent dans le pied en tenant un tel discours ? Qu'ils discréditent totalement leur cause ?
La solution n'est pas d'enlever de l'argent aux groupes de femmes : c'est d'en donner davantage aux groupes d'hommes !
Comme on dit, on n'a pas besoin de déshabiller Ginette pour habiller Jacques. On a juste à acheter des vêtements pour les deux...
Au lieu de constamment se tirer dessus, et de comparer leurs plaies pour savoir quel sexe est le plus amoché, les groupes d'hommes et les groupes de femmes devraient travailler ENSEMBLE à construire un monde plus harmonieux, moins agressif.
UNE STRATÉGIE CONTRE-PRODUCTIVE ?
Cela dit, si je ne partage absolument pas le discours parano, misogyne et revanchard de L'Après-rupture, j'avoue que je ressens un certain malaise face au discours entourant le massacre de Polytechnique.
Pas parce que je trouve que l'utilisation de Poly est une «récupération féministe», comme se plaisent à dire les masculinistes radicaux. Mais parce que je crains que cette stratégie ne soit contre-productive.
Laissez-moi vous expliquer...
Au fil des ans, Poly est devenue une sorte de symbole de la violence faite aux femmes.
Or, croyez-vous vraiment que le gars qui bat régulièrement sa femme dans son salon s'identifie à Marc Lépine ?
J'en doute. Il se dit : «Lépine est un monstre, un cas extrême, un fou, un psychotique. Il n'a rien à faire avec moi...»
Quand ils se comparent à Lépine, les «tyrans ordinaires» se trouvent très gentils, très corrects... De vrais gentlemen.
UN MAUVAIS SYMBOLE
Comprenez-moi bien : je ne dis pas qu'il ne faut pas rappeler à notre mémoire le tragique souvenir de Poly.
Au contraire, je trouve que c'est essentiel. Qu'on le veuille ou non, ce drame épouvantable fait partie de notre Histoire.
Mais je crois qu'il ne faut pas faire de cet événement un symbole de la violence quotidienne que subissent les femmes battues. C'est trop gros, trop monstrueux, trop exceptionnel.
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