jeudi, novembre 20, 2008

 

Congo: Tomber en proie aux violences, Marie-Êve Marineau


Alors que les combats dans le Nord-Kivu (République démocratique du Congo) font la Une de l’actualité, le district voisin du Haut-Uélé est aussi en proie aux violences. Les rebelles de la Lord Resistance Army (LRA) y font régner la terreur, pillant et brûlant les villages, enlevant les enfants et tuant les adultes. Une équipe de Médecins Sans Frontières (MSF) s’est rendue dans la ville de Dungu, attaquée par les rebelles le 1er novembre, pour évaluer les besoins de la population. Depuis le 10 novembre, une équipe médicale de MSF travaille à Dungu.

J. est menuisier et travaille au couvent de Duru, un village à de longues heures de marche de Dungu. Lui et sa femme ont cinq enfants et une jeune nièce sous tutelle. Son histoire, racontée à un membre de l’équipe MSF, illustre la détresse des populations soumises aux violences des rebelles et forcées de quitter leurs villages.

Tout a commencé vers 13 h. Je venais de couper un régime de noix de palme à 250 m du marché et de la mission et m’apprêtais à rentrer vers la mission quand un enfant du village me fit signe de ne pas m’en approcher : les LRA entouraient la mission et avaient même, selon lui, enlevé les élèves du secondaire.

Je suis rentré chez moi aussitôt et j’ai regroupé immédiatement mes six enfants et ma femme. Les quatre enfants de mon voisin qui s’était absenté se sont joints à nous et nous sommes partis nous cacher en brousse, à deux kilomètres du village. Là, près de notre champ, nous sommes restés d’abord trois jours. On pouvait se nourrir de haricots et d’aubergines que j’allais chercher au champ et que ma femme cuisinait dans des boîtes de conserve, faute de casserole.

Un garçon capturé par les LRA nous a rejoints au bout de ces trois jours. Il avait réussi à s’échapper. Selon lui, les LRA ont quitté le village vers 3 h du matin et traversé la rivière.

Avec notre voisin qui nous avait rejoints au champ, nous prenons alors la décision de retourner au village pour voir ce qui s’était passé, mais aussi pour récupérer quelques ustensiles nécessaires. Le choc a été brutal lorsque j’ai constaté que ma concession avait été entièrement brûlée : les trois cases, la paillote, la cuisine et la cabane des chèvres. Tout était brûlé. Mes six chèvres gisaient au sol, tuées à coup de feu.

«Mon voisin a pris la décision d’aller au Soudan, par la forêt, avec sa famille.»

En surmontant notre douleur, nous avons dépecé une chèvre rapidement et chacun de nous en a pris une part. J’y ajoutais aussi le reste de deux poules brûlées et chargeais tout sur mon dos avant de retourner vers notre cachette.

Mon voisin a pris la décision d’aller au Soudan, par la forêt, avec sa famille. De notre côté, mon épouse ne voulant pas aller dans ce pays pour elle inconnu, nous avons donc décidé de prendre, dès le lendemain, la direction de Dungu où j’ai de la famille.

Le lendemain était un dimanche. Vers 16 h nous avons pris la route de Dungu pour atteindre le village de Kpaika le même jour. Là, mon fils âgé de huit ans avait les jambes toutes gonflées à cause de la marche. Nous avons donc décidé de nous reposer et de passer la nuit sur place à la chapelle pour repartir au petit matin. À 4 h du matin, ce sont des coups de feu et le tumulte de gens courant dans toutes les directions qui m’ont réveillé. Nous avons décidé de fuir. Ma femme a pris sur son dos notre fille cadette et dans ses bras mon fils de huit ans et nous sommes partis en courant. Je courais le dernier avec mon fils de trois ans dans mes bras. Soudain, ma femme est tombée dans un trou. J’ai donc laissé le petit à terre pour aider ma femme à se relever. C’est à ce moment-là qu’un soldat LRA nous a repérés et s’est lancé à notre poursuite. J’ai eu à peine le temps de sortir ma femme du trou et de m’enfuir avec elle. Je réalisais alors, mais trop tard, que mon petit était resté derrière et je l’entendis hurler derrière moi. Impossible de revenir sans risquer de tous se faire prendre.

Une chance miraculeuse

De la forêt où nous sommes restés cachés, nous avons essayé de prendre des nouvelles. Les gens racontaient que de nombreuses personnes avaient été tuées à Kpaika. Vers 11 h, il y eut un silence total. Alors, nous avons entendu le chuintement des feuilles mortes provoqué par des pas, de nombreux pas. Nous nous sommes rapprochés prudemment. Ces bruits provenaient en fait de la route où passaient des personnes qui s’enfuyaient. Nous demandions à tout le monde s’ils avaient vu un petit garçon seul sur la route. Finalement, quelqu’un nous certifia avoir vu un soldat LRA porter notre enfant sur son dos. Cette nouvelle nous mit dans le désespoir. C’est alors qu’avec ma femme, nous avons décidé de sauver les cinq autres enfants en les emmenant au plus vite tout en sachant que cela nous éloignerait encore plus de notre petit garçon.

Nous avons donc suivi le mouvement général et pris le chemin de Kiliwa où nous sommes arrivés le mardi. Par une chance miraculeuse, nous avons enfin appris, à Kiliwa, que notre enfant avait été libéré, qu’une personne de bonne volonté l’avait récupéré et qu’elle serait maintenant en route avec lui vers Dungu.

Nous avons passé la nuit dehors à la belle étoile sous un manguier au bord de la route, épuisés et déshydratés, mais le cœur moins gros en pensant à notre enfant que nous espérons déjà en route. Nous avons quitté Kiliwa à 4 h du matin et nous avons marché toute la journée. Il était plus de 18 h lorsque nous sommes arrivés à Dungu. Nous y avons été accueillis chez les pères où nous sommes maintenant depuis quatre jours. Nous attendons notre petit.

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