mercredi, décembre 17, 2008

 

RD Congo : Il faut protéger les enfants contre le viol et le recrutement, par Renata Daninsky



Le Conseil de sécurité de l'ONU devrait réagir face à l'escalade des violations perpétrées contre les enfants dans l'Est de la République démocratique du Congo, notamment le recrutement d'enfants soldats et les violences sexuelles, a déclaré Human Rights Watch dans une lettre envoyée le 10 décembre 2008 aux membres du Conseil de sécurité. Le groupe de travail du Conseil de sécurité sur les enfants et les conflits armés doit se réunir cette semaine pour examiner les mesures à prendre à cet égard.

Au moins 175 enfants ont été recrutés de force pour servir au sein de troupes armées depuis que les intenses combats ont repris en août entre l'armée congolaise (FARDC) et le groupe rebelle dirigé par Laurent Nkunda, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Selon certaines sources, ce nombre pourrait être beaucoup plus élevé. Des dizaines de filles ont été violées par les parties au conflit. Human Rights Watch a observé certaines de ces exactions lors d'une visite effectuée la semaine dernière.

«Si seulement les membres du Conseil de sécurité avaient pu accompagner nos chercheurs», a déclaré Jo Becker, directrice de campagne à la division des droits de l'enfant à Human Rights Watch. «Voir des enfants drogués portant des AK-47 pourrait les convaincre qu'ils devraient prendre des mesures plus sévères pour mettre un terme au recrutement et au viol d'enfants et faire en sorte que les parties coupables répondent de leurs actes.»

Les chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus à Nyamilima et Ishasha dans la province du Nord-Kivu, où ils ont vu au moins 30 enfants gardant des barricades et patrouillant dans les rues avec des armes qu'ils arrivaient à peine à porter. Certains n'avaient pas plus de 12 ans et quatre d'entre eux étaient des filles. Ils opéraient dans des zones aujourd'hui sous le contrôle des milices Maï Maï et du groupe armé rwandais, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).

Dans certaines zones des territoires de Rutshuru et de Masisi, au Nord-Kivu, les rebelles de Nkunda et d'autres groupes armés sont allés de maison en maison, forçant les jeunes garçons et adultes, dont certains n'avaient pas plus de 14 ans, à servir dans leurs rangs. Dans d'autres zones, à proximité des camps de déplacés, le groupe a recruté des garçons qui n'avaient pas plus de 12 ans. Certains ont été envoyés au combat sans entraînement militaire.

Fin octobre, les groupes pro-gouvernementaux Maï Maï ont recruté des dizaines d'enfants pour servir dans leurs rangs et l'armée congolaise a également recruté des enfants pour transporter et distribuer des armes.

Dans le monde, depuis 2002, 14 parties à des conflits armés ont été épinglées par le secrétaire général de l'ONU pour des violations régulières et répétées des lois internationales interdisant le recrutement et l'utilisation d'enfants soldats. Quatre de ces «violateurs récidivistes» recrutent actuellement des enfants en RDC - l'armée congolaise (FARDC), les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), les groupes pro-gouvernementaux Maï Maï et l'Armée de résistance du Seigneur («Lord's Resistance Army», ou LRA).

«Ce qui est tragique, c'est que bon nombre des enfants saisis récemment sont des ‘re-recrues' qui sont déjà passées par les programmes de démobilisation», a déploré Jo Becker. «Ces programmes sont trop courts et les enfants ont de toute urgence besoin de davantage de soutien et de protection pour qu'une fois rentrés dans leurs familles, ils ne soient pas de nouveau recrutés.»

Human Rights Watch a également recueilli des informations sur des viols de filles et de femmes commis par des soldats de l'armée congolaise et des combattants du CNDP, des FDLR et des milices Maï Maï. Au cours des dernières semaines, des dizaines de femmes et de filles de Nyamilima et d'Ishasha ont été violées par des combattants Maï Maï, dont des fillettes qui n'avaient pas plus de 9 ans, attaquées alors qu'elles travaillaient au champ ou dormaient chez elles la nuit. Certains témoins ont reconnu que des combattants des FDLR avaient essayé de contenir les exactions des Maï Maï, mais dans de nombreuses zones, les deux groupes ont collaboré lors des attaques.

Des soldats de Nkunda ont violé au moins 16 femmes et filles fin octobre et en novembre suite à la prise de Rutshuru et de Kiwanja par leurs forces. Des soldats de l'armée congolaise qui battaient en retraite devant la progression du groupe ont violé plus d'une douzaine de femmes et de filles alors qu'ils fuyaient Goma le 29 octobre.

Des dizaines de milliers de femmes et de filles ont été violées depuis le début de la guerre en 1998, et un récent rapport du secrétaire général a révélé qu'entre juin 2007 et juin 2008, l'ONU avait recensé 5 517 cas de violences sexuelles sur des enfants en Ituri ainsi que dans les deux Kivus - soit 31 pour cent de toutes les victimes de violences sexuelles.

Human Rights Watch a appelé l'Union européenne à envoyer de toute urgence une force « relais » dans l'est du Congo pour aider les casques bleus de l'ONU à prévenir de nouvelles attaques contre les civils, notamment les enfants. Faisant suite à une demande antérieure adressée à l'UE par le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, Human Rights Watch a écrit (http://www.hrw.org/en/news/2008/12/09/european-union-deploy-bringing-force-north-kivu-eastern-drc ) aux chefs d'État de l'UE le 9 décembre, leur demandant de déployer rapidement cette force dans l'est du Congo.

Human Rights Watch a vivement recommandé au Conseil de sécurité de :

  • Prendre des mesures, y compris des sanctions supplémentaires, contre les parties responsables du recrutement et de l'utilisation d'enfants soldats ainsi que des viols et violences sexuelles;
  • Prier les membres du Conseil de sécurité et les gouvernements de la région d'appréhender les personnes recherchées par la Cour pénale internationale (CPI), dont le chef d'état-major du CNDP, Bosco Ntaganda, accusé par la CPI de crimes commis en Ituri en 2002 et 2003 en lien avec les enfants soldats ; et
  • Veiller à ce que l'UNICEF, la MONUC (mission de maintien de la paix de l'ONU) ainsi que les autres agences de l'ONU compétentes reçoivent les ressources et le personnel adéquats pour promouvoir la démobilisation et la réinsertion des enfants soldats, notamment des filles associées aux groupes armés.

Déclarations d'enfants

(Tous les noms apparaissant ci-après ont été changés afin de protéger la vie privée des enfants.)

Anthony

Anthony était l'un des quelque 50 enfants et des dizaines d'adultes recrutés de force à la mi-septembre par des groupes rivaux, le CNDP et les PARECO, juste à l'extérieur du camp de déplacés de Ngungu (territoire de Masisi). Sa famille s'était réfugiée à Ngungu quelques jours plus tôt, après que les deux groupes se furent affrontés dans son village d'origine, Numbi :

«Cinq soldats du CNDP m'ont arrêté sur la route en plein jour. Ils m'ont envoyé avec un groupe important d'autres hommes et garçons, qui avaient entre 12 et 40 ans, à Murambi où ils disaient que nous allions porter des caisses de munitions pour les soldats rebelles. Ils nous ont tellement battus que nous n'avons pas pu résister. Quand nous sommes arrivés à Murambi, ils ne nous ont pas ordonné de transporter des caisses, et au lieu de ça ils nous ont donné des uniformes militaires et nous ont montré comment nous servir des armes. Puis au bout de trois jours, ils nous ont tous mis dans une prison souterraine. Nous y sommes restés pendant quatre jours, et de nouvelles recrues nous rejoignaient chaque jour. Le quatrième jour, ils nous ont fait sortir de la prison et nous ont emmenés à Karuba. Cette nuit-là, j'ai réussi à m'échapper avec deux autres recrues, et nous avons couru tout le long du chemin jusqu'à Ngungu. Les autres qui sont restés derrière ont été envoyés à Kitchanga pour un entraînement militaire.»

Quand Anthony et les deux autres hommes sont arrivés à Ngungu, ils se sont réfugiés à la base de la MONUC. Comme beaucoup de combattants qui choisissent de déposer les armes ou qui échappent au recrutement forcé, ils ont ensuite été remis aux autorités congolaises qui les ont envoyés à la prison du renseignement militaire à Goma (connue sous le nom de T2) comme point de transit avant d'être placés dans des camps de démobilisation. Les détenus de cette prison sont souvent incarcérés pendant des semaines ou des mois sans chef d'accusation et sont soumis à des traitements cruels et dégradants ; certains sont torturés. Au bout de cinq jours à la T2 sans manger, Anthony a réussi à s'échapper de la prison et il a à nouveau cherché refuge à la base de la MONUC à Goma.

«Je veux retourner chez nous à Numbi», a affirmé Anthony. «Mais j'ai peur. Si les soldats du CNDP me trouvent, ils me tueront.»

Marie

Marie est une jeune fille de 16 ans qui a été violée par un soldat du CNDP dans une ferme à l'extérieur de Rutshuru le 29 octobre, juste après que le groupe eut pris le contrôle de la ville :

«Le jour où le CNDP est arrivé à Rutshuru, ils ont pillé mon quartier et ont abattu deux garçons, alors j'ai décidé de fuir à Goma. J'ai traversé en courant les fermes situées aux abords de Rutshuru et j'ai rencontré deux soldats tutsis armés de fusils et de lances. Ils m'ont interceptée dans une ferme. J'étais seule. Un des soldats parlait kinyarwanda et l'autre swahili. Ils m'ont dit : «Nous allons te tuer». Puis ils ont appuyé un couteau sur mon bras. Je leur ai dit : «Non, s'il vous plaît, pardonnez-moi». Alors ils ont dit : «Le seul moyen pour que nous te pardonnions, c'est de te violer». Ils ont déchiré mes vêtements avec le couteau. Un des soldats m'a violée de 16 à 19 heures. Il y avait du sang partout. Ensuite, quand le second a voulu commencer, des coups de feu ont retenti à proximité et ils sont partis en me disant que si je m'enfuyais, ils me tueraient. Après cela, j'ai réussi à m'échapper et j'ai pu arriver jusqu'à Kibati [un grand camp de déplacés situé à l'extérieur de Goma]. J'ai encore très mal mais je n'ai pas de médicaments et il n'y a personne ici pour me soigner.»

Liliane

Liliane vit dans un camp de déplacés à Rutshuru. Elle a été violée alors qu'elle était retournée dans son village pour aller chercher à manger :

«Une fois, quand j'ai essayé de retourner dans mon village, les FDLR m'ont retenue et m'ont violée. Ils m'ont amenée sur le bord de la route, près du village de Buhuga. Il y avait huit combattants des FDLR. J'étais avec sept autres filles. Nous avons toutes été violées. Les autres filles étaient de mon village, mais elles ne vivent pas dans ce camp. Ils nous ont prises à 2 h de l'après-midi et ils nous ont laissées partir le lendemain à 4 h de l'après-midi. Nous avons passé la nuit avec eux puis ils nous ont laissées partir. Un soldat m'a violée ; il y avait un soldat pour chaque fille. Ils nous ont gravement maltraitées. Ils nous ont menacées avec leurs armes, mais ils ne s'en sont pas servi contre nous. J'avais 17 ans quand c'est arrivé. Les autres filles avaient 16, 17 et 18 ans. Nous sommes toutes allées à l'hôpital à Rutshuru après ça. J'ai étudié jusqu'à la sixième, mais je ne peux pas étudier maintenant que je suis déplacée. Je veux juste que les FDLR et le CNDP s'en aillent pour pouvoir rentrer à la maison et continuer ma vie.»

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